C'est comme les cochons
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Nous savons tous les deux / Que le monde sommeille / Par manque d'imprudence
Jacques Brel
J'ai acheté récemment une feuille de choux au prétexte qu'elle parlait de Brel. À ma décharge, je n'imaginais avant l'achat la "qualité" de la rédaction. Baste.
Hormis l'impression difficile à supporter que ces gens s'écoutent écrire, dès les cinq premières pages, on avait dit par trois fois que Brel haïssait les bourgeois. Il me semble que lorsqu'on se pique d'écrire sur un auteur, il pourrait être intéressant de le lire et de le comprendre.
Parce que déduire de l'écoute des Bourgeois qu'il n'aimait les bourgeois, c'est un raccourci rapide, facile et très énervant. Déduire le sens d'une chanson en en n'écoutant que le refrain, c'est de la paresse. J'accorde à tous le droit à être paresseux, mais merde, qu'on n'écrive pas dans les magazines en se donnant l'air de connaître son sujet !
Cette chanson n'a jamais tapé sur les bourgeois : elle tape sur l'embourgeoisement. Elle s'en prend à tous ces ceusses qui vont refaire le monde à vingt ans et qui un jour en ont trente.
J'ai déjà vu ça.
Je vois ça depuis des années, depuis que j'ai vingt ans. Il y a longtemps, j'étais jeune, et j'aimais beaucoup mes petits camarades, parce qu'ils étaient rebelles : le keffieh comme un étendard, les cheveux longs et la haine de la société bourgeoise vrillée au corps. Je me sentais dans mon élément, entouré des révoltes étudiantes, je me félicitais d'avoir tant de copains avec de si grandes idées sur ce que devait être le monde. la société, elle m'aura pas !
Et un jour, j'ai regardé autour de moi, et je me suis demandé où ils étaient passés. je n'ai pas eu à chercher loin : ils étaient dans leur hlm autour de leur machines à laver, en couple, le keffieh rangé dans un tiroir et les cheveux raccourcis. Détails insignifiants, mais qui allait toujours de pair avec cette maladie insupportable : ils étaient devenus raisonnables.
Nan parce que tu comprends, il faut assurer son avenir, ne pas oublier de mettre de l'argent de côté et de bien reboucher le tube de dentifrice.
Je n'ai rien contre la raison. je n'ai rien contre le bourgeois non plus ; chacun à le droit de vivre sa vie comme il l'entend, c'est pas mes oignons, je ne détiens pas la vérité. Ce qui me fait hurler depuis des années, ce sont tous ceux là qui professent de si belles grandes idées sur ce qu'ils veulent être et finissent par être une copie de leur parents et de tous ceux sur lesquels ils crachaient à vingt ans. c'est ce renoncement qui est insupportable.
Encore qu'à bien y réfléchir, il est encore plus insupportable de se dire que leur réalité, c'est ce qu'ils sont devenus. Que le déguisement, c'était ces grandes idées qu'ils professaient. Qu'ils avaient somme toute dans leur jeunesse leur uniforme de rebelle pour être comme tout le monde. Pour quelques uns encore qui s'abrutissent, de travail ou autre, pour essayer d'oublier que leur vie n'est pas ce qu'ils voulaient qu'elle soit, combien sont justes contents de leur sort ?
Non, Brel n'a jamais tapé sur les bourgeois. Ce qu'il haïssait, c'était le renoncement.
Commentaires
C'est en passe de devenir une crise annuelle ? :-p
A bien passé 30, j'essaye toujours de refaire le monde (très tard le soir, au bord d'un verre - la journée je n'ai pas le temps-). Je suis incapable de savoir si j'ai renoncé. Pourtant content de mon sort, je me dis que... et puis le temps de la réflexion est passé. Renonce t-on quand on a quand même cette idée en tête qu'un jour ... ? Je n'en sais fichtrement rien mais adore Brel tout de même.
Belle note.
PS: ceux qui n'écoutent que le refrain sont les mêmes critiques professionnels qui écrivent un article de cinéma sans voir le film.
aaah, enfin la réponse au quizz !
Ouais, c'est comme quand on voit "Le métingue du métropolitain" dans une compilation de chants révolutionnaires. Faut vraiment pas aimer le second degré.
Pep > :-D
Pep > T'es au taquet sur les marronniers ! Tu t'entraînes avec les déclarations des hommes politiques, la valse des propositions de loi à l'Assemblée, les couvertures de magazine ?
Pep > Mais t'as rien compris, c'est juste pour démontrer qu'il fait ce qu'il dit : il reste fidèle et d'accord avec lui-même d'une année à l'autre :-p
(j'ai oublié de dire qu'il manque juste un truc à ce joli post : le nom du canard en question. C'est pas qu'on veut leur faire de la pub, c'est qu'on est curieux de savoir qui parle (si mal) de Brel... on ne se refait pas :-p )
"Comment peut-on s'assagir avec l'age?"
http://www.ina.fr/archivespourtous/...
Brel ne s'assagit pas avec l'âge, et pourtant, l'âge venant, il s'est choisi une existence confortable (aventureuse aux yeux de certains, certes, mais confortable pour lui : son coin sur les Marquises, sa chère et tendre, son petit avion...). N'est-ce pas une forme d'embourgeoisement ?
Intéressante question, en tout cas : n'a-t-on pas le droit de changer d'avis ? À considérer le monde différemment à 40 ans qu'on ne le regardait à 15, tout simplement parce qu'on a appris plus de choses, qu'on a eu davantage de temps pour se forger des opinions et se défaire de quelques illusions, etc ? Et est-ce que ça signifie pour autant qu'on n'était pas sincère quand on chantait l'Internationale ou qu'on professait l'anarchisme au lycée ? J'ai un neveu qui a bientôt 18 ans et qui clame sa foi inébranlable dans le centrisme. Je ne peux pas douter de sa sincérité, certes, ni peut-être (va savoir ?) de sa lucidité. N'empêche que je trouve ça désolant, cette résignation. Beaucoup plus désolant que ce que tu décris.
Quant au renoncement, je ne crois pas que la plupart des gens qui vivent autour de machines à laver dans des HLM (c'est pas un peu conformiste, ce gros cliché ?) aient renoncé à quoi que ce soit. Ils se sont juste rendu compte que c'était un peu plus difficile que prévu, d'être "juste content de son sort". Mais s'ils y avaient vraiment renoncé, ils n'auraient plus qu'à se flinguer.
Pep> Oui, il y a de la redite dans mes posts. Disons alors que je suis constant.
Emma> On s'en fout, c'est belge.
LeChieur> Remplace le keffieh par un foulard mauve. Tu verras mieux ce que je veux dire.
Xave > Oué, mais justement. La fille au foulard mauve que je croyais perdue en pleine Amazonie, remontant les sources du Nil à la rame ou professant je ne sais quel mysticisme de pacotille en Australie a fini par épouser un replet banquier, partir en vacances avec Nouvelles Frontières et inscrire son petit dernier au club de foot. Sauf que j'ai été VRAIMENT surpris de l'apprendre, parce que j'ai foi en l'homme (en la femme, en l'occurrence) ; mais finalement je me demande si ce n'est pas ce choix-là qui est le plus courageux.
Je t'encourage alors à arrêter de dormir quatre heures par nuit pour essayer de construire quelque chose et à trouver un vrai métier. Tu connaîtras alors courageusement toi aussi Nouvelles Frontières et Center Park.
J'ai toujours dit que tu étais un imposteur et que tu aimais les gens. Pas moi.
Raille, raille, mais justement, je serais incapable d'aller à Center Parc ou au Club Med parce que ça me fiche une trouille pas possible (déjà, le méga-centre commercial de la région, je peux pas). Donc oui, ça exigerait de moi une dose de courage que je n'ai pas.
Et puis ce n'est pas parce que je n'aime pas les gens que je suis obligé de les mépriser, si ?
Je me permet quand même de te signaler, Xavounet, qu'il est infiniment plus facile de ne pas renoncer à son idéal quand il se trouve qu'on fait un boulot qu'on aime, qui flatte agréablement l'ego car sortant de l'ordinaire et qui en prime est extrêmement bien payé, le tout sans avoir de famille à charge.
Plaquer ses rêves, accepter un boulot chiant et perdre sa vie à la gagner parce qu'on se retrouve à 30 ans avec des minots à nourrir et habiller, je trouve ça courageux mine de rien. Il faut des tripes pour réussir à se lever chaque matin dans ces conditions.
Et pour résister à le tentation de tout plaquer, c'est plus facile si on réussit à se convaincre que finalement c'est mieux comme ça.
Ce que j'ai surtout retenu de la chanson de Brel c'est pas tant le renoncement à un idéal ou un changement de statut inévitable que le fait, arrivé à l'âge mûr (!?), de ne plus supporter de la part d'autrui ce qu'on faisait volontiers plus jeune.
Pour moi, refuser d'accepter que la vie puisse nous malaxer et nous changer, quoiqu'on veuille ou fasse est profondément (psycho)rigide. Ce refus ou la simple impossibilité de s'adapter aux nouvelles contraintes est un signe de faiblesse et le début de la fin.
Mirovinben> Si tu t'es un peu promené sur ces pages ces derniers mois, tu as du voir que je ne suis pas vraiment de ceux qui refusent que la vie puisse nous malaxer et nous changer. Ou alors je ne suis vraiment pas clair quand j'écris.
Comprenant très bien les nuances que vous apportez, les uns et les autres, au texte enflammé de Xave, je persiste à penser qu'il sent bien de quoi il parle, même si je n'opterais pas pour les mêmes critères d'identification.
Le renoncement n'est effectivement peut-être pas dans la forme, mais dans le fond, dans une partie de soi qu'on laisse derrière soi et à laquelle on ne revient plus. Dans une façon de penser qui s'éteint, plus que dans les choix raisonnés qu'on fait, ou dans les compromis que la vie nous contraint parfois à adopter.
On peut avoir un boulot de fonctionnaire pour le confort et la liberté que ça offre en contrepartie, et parce qu'on sait que ça permet de nourrir la famille qu'on crevait d'envie de fonder ; on n'en a pas pour autant un esprit ou une étiquette conformiste, plan-plan, sage, si on ne se contente pas de ça. On peut vivre ses rêves malgré tout (dans des expressions diverses comme la création artistique, l'engagement politique, social, écologique...) et les faire partager.
On peut avoir des enfants sans pour autant se farcir la panoplie "central park", eurodisney et j'en passe.
On peut se marier sans vivre un couple conforme aux modèles environnants.
Bref, on peut continuer à avoir sa propre manière de vivre, de penser, d'aménager, de fonctionner en ayant l'air de "faire comme tout le monde", pour ceux qui y regardent un peu trop vite. La fidélité à soi-même est là, dans l'investissement personnel des schémas, non ?
Emma, je t'aime. :)
^-^
o
(marche pas bien ce blog, pour le dessin :-p)
Je vais me mettre toute la France rurale et Brigitte Bardot sur le dos mais il y a de ça, aussi, je crois, dans l'image du cochon de Brel : hormis le triste sort de celui qui réduit sa vie à s'engraisser en attendant la mort, il y a peut-être également un jeu sur le cliché du cochon qui "bouffe tout", sans faire le tri. Comme ceux qui en viennent à accepter les schémas tous faits sans regard critique ou sans se demander de quoi EUX aimeraient vraiment se nourrir.
(à la relecture, ma nuance me semble à moi-même un peu ésotérique. Je vais aller rattraper les 342h de sommeil accumulées et je reviens avec les idées claires. Faites comme si j'avais rien dit :-) )
(les 342h de RETARD de sommeil je voulais dire. Ouf, elle va y arriver)
Xave, je ne m'adressais pas à toi (j'oserais même dire "surtout pas à toi", toi que je lis très régulièrement ) dans la 2ème partie de mon commentaire (#14) mais rebondissait sur les commentaires précédents.
Cui résume parfaitement ce que je pense (et que je n'osais exprimer aussi explicitement).
Et puis désolé, mais ça me gonfle, le cliché du "fonctionnaire qui fait ça pour avoir la liberté de faire autre chose à ses heures perdues". Je connais des gens qui sont profs parce qu'ils voulaient être profs, et qui pensent que c'est un des moyens de changer le monde, ou en tout cas une raison de faire tout ce qu'ils peuvent pour que le monde tourne un peu moins mal. Ces gens-là se "contentent" de leur boulot et n'ont pas besoin de s'inventer une "autre vie" à leurs heures perdues, genre "je suis fonctionnaire mais je fais aussi dans l'artistique / le politique / le culturel (rayez la mention inutile), ça m'excuse d'avoir un job aussi méprisable". C'est une forme "d'investissement personnel des schémas", et je ne vois pas en quoi elle serait moins respectable que les autres. D'ailleurs, j'aurais même tendance à la trouver un peu plus respectable que les autres ; je dois être un peu primaire, mais je pense que c'est bien plus honnête (et moins égocentré) de dire "je suis prof parce que j'ai le sentiment ou l'espoir que je peux apporter quelque chose à mes élèves" que "je suis prof, mais je m'en fous, c'est juste un moyen pour moi d'avoir le temps de me consacrer à mon âââârt." (Et je dis "prof" parce que c'est l'exemple que j'ai sous les yeux, mais mon propos est valable pour tous les autres fonctionnaires, évidemment. J'aime assez l'idée qu'il y a des infirmières, des flics ou des assistantes sociales qui se sentent motivés par leur boulot, et pas seulement par leurs heures de loisirs ni par "le confort et la liberté" que la fonction publique leur procure, parce que sinon on est mal).
Je connais aussi des gens qui vivent une relation de couple parfaitement conforme aux "modèles environnants" (c'est quoi, d'ailleurs, les modèles environnants ?) et qui, POURTANT, malgré ce conformisme éhonté, s'en trouvent parfaitement heureux et épanouis.
Il n'y a rien de plus conformiste que l'anticonformisme, au fond.
Quant à Brel, il ne dénonce ni l'embourgeoisement ni le renoncement, il dénonce les gens qui méprisent ce qu'ils ont été, c'est différent. Lorsqu'il chante vraiment le renoncement (cf. "Regarde bien, petit" ou ce qui arrive au narrateur de "Chez ces gens-là", ou encore "Les Vieux"), ce n'est pas sur le mode de la dénonciation ni du mépris, mais au contraire sur celui de l'empathie. C'est bien aussi, l'empathie.
1OO% d'accord avec cui. La différence réside dans la charge de famille. Le courage à 30ans, réside dans le fait de renoncer à une multitude de micro-conforts (acheter une guitare, partir en voyage, empiler des CD) pour assurer le minimum à ses enfants. J'approche la 5Oaine, je rame avec une paye pourtant confortable pour assurer les études de mes filles, toutes les deux étudiantes, l'une à Paris l'autre à Dijon, moi-même domicilié vers Lyon.
Je suis fonctionnaire car pour le métier que je voulais faire, je n'avais pas le choix. Il est inutile que je m'étale ici à lutter contre les lieux communs sur le temps libre des fonctionnaires, les vacances, la sécurité de l'emploi. Ce métier m'a mis en difficulté plus d'une fois, et ne m'a pas poussé à aller à l'autre bout de la planête pour connaître "l'aventure". Moi, je la connais tous les matins.
Bref ! Il est fort rassurant entre 30 et 40ans de se sentir reconnu par "les siens", de se trouver à sa place sous la bannière rouge ou noire, mais tout ceci n'est qu'un leurre.
Ce qui est stupéfiant ici, c'est cette opposition entre des gens qui habituellement s'apprécient, ce pour une unique différence, les uns ont des enfants, les autres non.
En fait, chacun fait des choix dans la vie. Je respecte les uns et les autres, cela demande juste une petite dose de tolérance de notre part. N'est-ce pas ce qui manque ici ?
Désolé d'avoir été si... réaliste ?
Fantôme, on s'engueule pas : on discute.
Visiblement, à force de m'étaler ici depuis des années, je commence à savoir un peu manipuler les mots, mais toujours pas assez pour exprimer mes idées, parce que je suis à peu près persuadé nos différences de points de vue ne sont que des nuances et que le vrai problème de la discussion, c'est que nous ne mettons pas les même mots sur les mêmes choses.
Déjà, je voudrais dire que je suis un peu vexé qu'on ai pu croire, parce que j'avais utilisé le mot "HLM" peut-être, que je m'attaquais aux gens qui se battent pour vivre correctement. En raccourcissant un peu, j'ai l'impression de lire qu'on me trouve méprisant avec les gens qui n'ont pas eu la chance d'être riches. Je ne vais pas argumenter là dessus plus loin que : non. Ce n'est pas d'eux que je parle.
Sur cette histoire de fonctionnaires, on ne parle pas non plus de la même chose, parce que si les profs sont techniquement fonctionnaires, je n'irai jamais confondre prof et fonctionnaire. Les profs, je les fréquente de l'intérieur depuis toujours, je sais bien ce que ça peut représenter en terme de mission, de charge de travail et d'implication même en dehors des horaires. Je dis "prof" parce que c'est l'exemple que j'ai sous les yeux, mais mon propos est valable pour tous les autres fonctionnaires... Enfin, oui, ceux qui ont "une mission". Et ça, c'est pas dans le rôle, c'est dans la tête.
Seulement, des fonctionnaires à la mode "fonctionnaire", j'en ai autour de moi tous les jours depuis des années, j'en fréquente depuis toujours. Et les ceusses qui débarquent à moins de trente ans et qui commencent par calculer leur retraite, c'est pas assez rare pour être une exception. Ceux qui arrivent tous les jours en gardant l'œil sur la montre pour les six pauses cafés de 45min de la journée, c'est même la majorité.
Et pour ce qui est des profs, c'est pareil : ah oui, j'en connais des bien, j'en connais des qui se battent pour faire bouger les choses. J'en ai connu aussi des troupeaux qui s'en battait royalement les couilles, crachaient sur les gamins et n'attendaient que les vacances. J'en ai connu un paquet, à l'âge où ils auraient encore du avoir envie de refaire le monde, qui m'expliquaient sans aucun état d'âme que leur matière même n'avaient aucun intérêt pour eux, qu'ils avaient juste choisi celle où ils avaient le mieux réussi scolairement (et ce n'était pas une galéjade, je ne vais pas donner de détails mais j'ai vu exprimer des désintérêts que je peine toujours à comprendre, un paquet d'années après.)
Et surtout, merde, on m'a déjà fait le coup : parce que je dit "machine à laver", on imagine que je parle d'une machine à laver. C'est une image, putain, c'est un symbole, c'est que dalle ! J'ai une machine à laver. J'ai même une belle voiture et un compte épargne, et je crève d'envie d'avoir des gamins avec celle que j'aime, mais ce n'est absolument pas la question. Ça ne l'a jamais été ! Je ne méprise pas les gens qui se battent pour le quotidien par admiration pour les gens qui se battent pour sauver le monde (d'autant que ceux-là on une nette tendance à me gonfler aussi) : ma famille, mon histoire, c'est des petites gens, c'est des sans grade, ils vivent en HLM et ont des machines à laver, j'ai même des gendarmes, et je les aime. Mais ils n'ont jamais pété plus haut que leur cul, ils n'ont jamais eu de grandes idées sur l'empreinte qu'ils devaient laisser sur le monde, ils n'ont jamais rien rejeté de manière grandiloquente pour y retomber à trente ans. Ils sont comme ils sont, ils l'ont toujours été et ils sont géniaux comme ça.
Merde ! C'est quoi les mots que je dois utiliser pour faire comprendre que ceux sur lesquels je crache, c'est ceux qui ne se sont pas fidèles ?
A plusieurs reprises j'ai été tenté de déposer ici ma réaction aux différents propos... et puis la peur du ridicule... même si ça ne tue pas ça fait un mal de chien...
Bref, passons. J'en ai fait un long, très long billet chez moi... qui n'est pas en ligne... D'ailleurs je me questionne sur la validité de mon propos au jour de tes derniers mots, xave.
Je connais bien le problème de dire la même chose avec des mots qui semblent dire autre chose. Je connais bien cette difficulté de communication qu'est de ne pas mettre les mêmes mots sur les mêmes choses... J'en ai encore eu la preuve ce matin au petit-déjeuner... Et je trouve ça tellement rageant !
Je comprends ce que tu veux dire. Et je comprends que tu veuilles cracher sur ceux qui ne se sont pas fidèles. Mais pour autant (est-ce ma vieille habitude de me faire l'avocate du diable qui va s'exprimer ?) les condamnes-tu sans autre forme de procès ? Aucun n'ont-ils de circonstances atténuantes à tes yeux ?
J'ai un idéal... tellement ancré en moi et tellement différent de celui de ma famille que j'ai traîné des années le sobriquet d'utopiste (dans leur bouche ce n'était pas vraiment un compliment). D'ailleurs, cela leur a fait condamner la plupart de mes actes, de mes décisions, de mes choix de vie. Mais ce que je n'ai su assumer à 20 ans, je tente de le faire maintenant. Même si je sais que je suis plus dans la pensée que dans l'action. Cela non plus je ne l'ai pas appris...
Ne soit pas vexé qu'on est cru que tu étais méprisant. Parce que finalement, de cette méprise a jailli un tas de contestations allant dans ton vrai sens. Cela ne fait que renforcer ma propre image qu'il existe encore des gens bien.
Je sais que c'est un sacré coup, et que tu enrages certainement derrière ton clavier... de ne pas avoir été compris du premier coup... Perso je le serais...
Mais arrêtes toi à l'essentiel... tu n'es pas le seul à t'être fidèle ! Et cela est bien plus important que l'erreur d'interprétation de ta pensée... Non ?
Xave, je t'aime :-)
LeChieur, j'en avais même oublié que les profs étaient fonctionnaires (véridique). Je viens de le réaliser grâce à toi.
Mon histoire ; le sentiment depuis toute petite - souvent vain dans la réalité malheureusement - que je n'étais pas à l'école pour avoir de bonnes notes mais pour m'éveiller ; l'amour que j'ai porté aux quelques profs qui m'ont élevée, dans le sens le plus "réanimant" et "animant" du terme ; plus largement, l'infinie reconnaissance que j'éprouve au quotidien pour tous ceux qui m'apprennent et me font découvrir des choses ; et enfin, le fait que je sois moi-même "prof" depuis 10 ans (même si ce n'est pas mon unique métier, puisque ça ne m'occupe que quelques heures et payées au prix d'une baby-sitter (c'est mon choix)) avec un seul discours, un seul sentiment qui me brûle de l'intérieur devant ces gosses, celui de la liberté (au sens le plus large et le plus anti-déterministe qui soit) que l'on gagne par l'éducation, tout cela ne peut que me faire partager ta vision.
Mais comme le dit Xave, tout est, d'une part, question d'individus, et il existe certainement, d'autre part, d'autres métiers relevant du statut de fonctionnaire dont l'essence-même est de changer le monde, avec les petites armes dont on dispose.
Ce qui n'empêche pas qu'on peut désirer également investir d'autres domaines par ailleurs, parce qu'un être humain a parfois des désirs et des besoins multiples. Il n'y a pas de hiérarchie ni de mépris pour l'une ou l'autre des activités, juste le besoin de faire plusieurs choses de sa vie, de se réaliser dans une polyvalence qui est parfois vitale parce qu'elle nous correspond, parce qu'elle nous reflète.
(Quant à cette histoire de mariage et de conformisme, je ne prônais pas (et ne pratique pas) l'anticonformisme à tout prix. Le mien, lorsqu'il se manifeste, n'est ni une posture, ni un absolu, ni une forme de prosélytisme. Il est juste le résultat d'une question purement pragmatique qui m'aide à faire le tri, et que je me pose donc par réflexe en toute chose : "Qu'est-ce que je veux, qu'est-ce que je pense vraiment ? ". Encore une fois, ça n'est pas du snobisme, mais plutôt l'expression d'un besoin, et je n'en retire donc aucune fierté car je pense sincèrement que je suis faible : je vais dans le sens de ma pente, de ce que je suis.
Parfois, je suis dans la majorité, parfois pas, parfois il n'y a pas de majorité mais que des cas individuels. Je m'en fous complètement, du statut, j'ai juste besoin d'être en accord avec moi-même sinon je ne suis pas heureuse, et c'est le seul prosélytisme que je pratique.)
J'ai développé mon propos sur mon blog.
Xave> Bon ! C'est vrai que j'ai du mal à comprendre votre mode de communication LeChieur et toi. Vous avez parfois l'amitié un peu vache. En fait, je suis 100% d'accord avec ton billet et ce que tu dis à la fois sur Brel et à la fois sur les enbourgeoisés.
Ce sont les commentaires qui m'ont fait bondir, et particulièrement le "cherche un vrai métier...". J'ai juste oublié que LeChieur était un grand garçon et que ça faisait partie de vos habitudes dans vos échanges.
Le coup d'Eurodisney m'a aussi fait réagir, car même si ce sont des images (comme la machine à laver), il me semble qu'à trop vouloir fuir l'anticonformisme, on sombre dans le conformisme des anti.
Emma> merci pour cette vision de l'école et le rapport aux notes qu'on place au-dessus du plaisir d'apprendre. C'est la raison principale qui pousse à parquer les déchets de ce système dans les sections professionnelles. Mais c'est un autre débat.
Bon! On se la boit cette bière ?
Fantôme > Je te confirme que je suis un grand garçon ! ;-) Un gros garçon, même... :-)
Xave > Je prends acte de tes précisions, même si je reste en désaccord. C'est normal et sain de vouloir bouffer le monde à 15 ans, comme c'est normal d'avoir compris à 30 qu'on avait eu les yeux un peu plus gros que le ventre. Ne s'être pas fidèle, ça veut dire aussi qu'on évolue. Moi, à quinze piges, je lisais Philippe Djian et je croyais que c'était le summum de la littérature. Heureusement, depuis, j'ai découvert Perec, Proust et Garcia-Marquez.
Je le répète, ce que Brel dénonce dans Les Bourgeois, ce n'est pas ça. L'embourgeoisement qu'il décrit, c'est celui des parvenus : les gens qui oublient qui ils étaient et d'où ils viennent, parce que ça ne correspond plus à l'image qu'ils se font d'eux-mêmes. Pour reprendre ton image malheureuse, les parvenus ne s'occupent pas beaucoup de leur machine à laver, et ils ne vivent pas dans des HLM. J'ai bien compris que ce n'était qu'une façon de parler, mais n'empêche : c'est l'arrogance que Brel haïssait, pas les gens qui sont obligés de faire des compromis avec leurs rêves d'antan.
Oui mais LeChieur, je me répète moi aussi, mais je crois que le problème n'est vraiment pas dans la forme, mais dans le fond. On peut, à 20 ans, taper sur la société et vouloir faire la révolution cosmique, et sentir à 30 que ça n'a plus le même sens ou la même impériosité parce qu'on a mûri. On peut alors, à 30, changer d'échelle et pourfendre les clichés sur les fonctionnaires ( ;-) ), taper sur les cons qui les propagent, avec la même pensée, la même énergie, le même esprit, parce que c'est ce "conformisme" qu'on croise tous les jours à cette période de sa vie.
Il me semble que c'est la même structure, le même esprit, la même colère dans le fond : elle a juste changé de support. L'habit est différent mais l'architecture est identique. C'est dans la même veine.
Quand Xave parlait de fidélité et de renoncement, quand j'évoquais plus haut "une façon de penser qui s'éteint" (et non "une pensée"), c'était ça qu'on sentait, je crois. Ce truc qui te déserte de l'intérieur, ce facteur que tu peux, un jour, oublier de laisser couler dans ton sang. Ta lecture de la chanson de Brel va - il me semble, si je t'ai bien compris - également dans ce sens : oublier sa base, ce qui t'a fait, que ce soit de l'ordre du social ou de l'intellectuel. Non ? :-)
Une amie me disait il n'y a pas longtemps qu'elle avait peur de perdre sa colère. C'est peut-être autour de ça que l'on cause ?
C'est sûrement de ça qu'on cause.
(Comme quoi c'est pas la peine que je sois verbeux.)
Ouaip. Et de la jeunesse aussi, corrélativement. Car il me semble que quelque soit l'âge au compteur, la fraîcheur est un peu là-dedans. Mais c'est sans doute purement subjectif :-)
(et avec "quel que" en 2 mots, c'est carrément encore plus mieux :-p)
Dire que j'avais loupé cette discussion, mince alors !
Moi j'ai pas peur de perdre ma colère, j'ai plutôt peur de me satisfaire du simple fait d'être en colère, comme si c'était un état "glorieux" par opposition au commun des médiocres qui eux auraient "renoncé".
Genre : je suis en colère, moi, voyez un peu la rebelle, ouélpé !
La question à presque 50 balais, c'est plutôt de savoir que faire de cette colère, la transformer en quelque chose qui fasse sens dans ma vie, pour moi, et si possible, pour les autres.
Ah, Samantdi, je me demandais vraiment où tu étais passée :-)
Je partage tout à fait ta problématique autour de "quoi faire de/avec sa colère" mais n'ai pas le sentiment qu'elle soit liée à l'âge (les réponses certainement, puisque les besoins, la maturité, la clairvoyance... évoluent avec nous et nous font évoluer ; c'est, somme toute, ce qu'on se disait avec LeChieur) (comme quoi c'est pas la peine qu'on soit verbeux ;-) ).
Quand bien même on aurait juste envie de parader ou de tout péter avec sa colère, si on ne lui trouve pas, par la force des choses, un canal d'expression constructif, c'est un sentiment qui se révèle puissamment auto-destructeur (avec souvent de vilaines projections d'écume et des dommages collatéraux, mais je n'en parle pas ici parce qu'en général, ils se remarquent assez bien, quand ceux qui sont à l'intérieur passent plus inaperçus).
Enfin à titre personnel, ça m'intéresse vivement (Xave, tu permets que je passe moi aussi mes petites annonces :-p ) : si quelqu'un a réussi à s'en sortir indemne (et si c'est sans avoir besoin de jouer les alchimistes, qu'il se manifeste sur le champ : je suis toujours à la recherche d'une preuve de l'existence de Dieu :-) ) ; comment chacun réussit à la transduire... (Je n'aborde même pas de la question du "en colère contre quoi ? ", ça devient trop compliqué.)
(Si tu entends subliminalement "SOS", ce n'est pas Dieu qui parle, c'est juste moi) (enfin la petite partie de moi qui a réussi à se percher le gué pour échapper à la lame de fond :-p )