Plaisirs de langues
Par Petits bonheurs - Lien permanent
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde,
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde;
C'est l'ennui ! - l'œil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, -mon frère !
Charles Baudelaire
C'est beau, la langue. Aidé par une connexion pourrite, je suis en train en ce moment d'essayer de rattraper mon retard vidéesque. Là par exemple, en ce moment, je regarde le Retour du Roi... Et c'est un vrai plaisir pour les oreilles.
Je ne parle bien entendu pas de la version française, dont les quelques bouts que je chope bien malgré moi ici et là me font pleurer : c'est d'un ridicule achevé et juste apte à bien laisser croupir le genre dans la case « trucs pour ados mal finis », pour puceaux mal dégrossis, quoi.
Alors que la VO, pardon ! C'est un bonheur total. On sait les efforts qui ont été faits par Peter Jackson et toute son équipe pour faire un film à la hauteur du bouquin et du mythe qui va avec, je vous assure que c'est flagrant dans les voix, les accents, les dictions, les tournures de phrases, les langues employés. Parce que si on remet un petit peu les choses en contexte, on se rappellera que l'ami Tolkien, avant toute chose, était linguiste, et que finalement, sa petite littérature avait pour but premier de pouvoir caser les langues qu'il avait inventé, et qu'il avait particulièrement soigné tout ce qui avait trait au langage dans ses œuvres.
Dans la version de Peter Jackson, on retrouve ce soin là : écouter les différentes races parler est jouissif, et très Anglais - avec une majuscule parce que je parle du pays, pas de la langue – entre les hobbits, anglais ruraux, les elfes, irlandais, les (bon, un seul, soit) nains écossais ( et pas simili-russes comme en VF !) on peut détailler toutes sortes d'accents, d'ailleurs, même les personnages qui n'ont pas d'accent flagrant (genre, euh... Aragorn ?) ont à cœur d'avoir une diction parfaite... On peut aussi, mais là c'est plus facile puisque directement tiré du bouquin, se délecter des tournures de phrases délicieusement alambiquées, et ça, c'est encore une fois tristement raté en VF[1] J'aime ce film rien que pour le plaisir de mon oreille.
Remarquez, ne soyons pas snobs, j'ai des plaisirs linguistiques en français aussi, plein même : je suis entre autre admirateur absolu de la précision métronomique et de la multitude d'images du verbe de Brassens (et que je retrouve parfois chez La Tordue, si, si, vérifiez !), de l'invention continue des néologismes de Brel, des jeux torturés et hurlants de drôlerie de Boby Lapointe. Rien que du classique d'ailleurs.
Et puis, piqué un peu au pif dans mes lectures du moment, ce somptueux Une jeune femme (créature d'aspect physique fort séduisant, nous ne cherchons pas à le nier, mais de rudimentaire culture mondaine et de colloque trivial)
dû à la plume d'Alphonse Allais, là où d'autres tâcherons (moi par exemple) eussent parlé simplement d'une ravissante idiote (pour ne pas dire Bonne, mais conne
.) Et surtout, surtout ... Les Fleurs du Mal, de Baudelaire, qui ne se devraient lire qu'à voix haute, tant le plaisir en bouche est grand. Un vers de Baudelaire, c'est beau, c'est carré, c'est évocateur, ce n'est pas toujours très léger, surtout à l'écrit, mais si vous le dites, ah ! Si vous les dites... On dirait que le langue française n'a été inventée que pour arriver là.
Oui, il est maints autres poëtes (sic), et on peut leur trouver force qualités et passionnants attraits, mais des vers de Baudelaire, merde, ça, c'est quelque chose !
Et tiens, puisque je suis là, un petit texte que j'aime bien, c'est une chanson de mon camarade Martin, qu'il avait en cours depuis longtemps et qu'il a trouvé prétexte à terminer il y a peu. J'aime particulièrement la formulation des deux derniers vers de chacun de couplets principaux...
La digestion est lente et difficile
Le pape est mort, et l'énergie fossile.
La vie est douce, et l'esclave docile,
Qui berce mon hamac en clignant des sourcils...
Faites gonfler ma vessie natatoire
Le pape est mort, et la matière noire
la vie est belle, et l'esclave barbare,
qui peigne mes cheveux et remplit la baignoire...
La pape est mort...
Il ne viendra plus faire le pitre
À la fenêtre avec sa mitre,
Le pape est mort...
Il est tout seul dans son linceul,
Il est tout pâle dans son linge sale.
Le pape est mort...
Et moi je reste mitigé
Face à son sourire figé.
Le pape est mort...
Il faut embaumer ce mec là,
Pour qu'il conserve son éclat.
Le pape est mort...
Le teint cireux, les yeux clos il repose,
On le dirait victime d'overdose.
La vie est courte, et l'esclave morose
Qui pave mon trottoir de pétales de roses...
Le chef parti, qui dirige l'orchestre ?
Le pape est mort, et l'attraction terrestre !
La vie est douce, et l'esclave enchaînée
Qui cire mes chaussures au petit déjeuner...
On le dirait meurtri par un gaz urticant
Et dans les caves, et dans les caves du Vatican,
Il y a des cross-country, on dans' le French-Cancan,
On joue le la batt'rie avec des mohicans.
On tap' sur des poteries, on boit d'la Pélican,
Tout le monde se pétrit, ça donne du piquant !
Le pape est mort, le pape est mort, le pape est mort !
Le pape est mort, le pape est mort, le pape est mort !
Le pape est mort, le pape est mort, le pape est mort ...
Si ça vous a plus, je vous invite grandement à l'aller découvrir en musique à http://margranger.free.fr/pape.htm ...
Notes
[1] And where the other four are, that I do not know...
, c'est joli, surtout sorti avec un accent perlé de la jolie bouche de Liv Tyler, alors que et où sont les quatre autres, cela je ne le sais pas
avec un accent pratiquement parisien, c'est ridicule.
Commentaires
Pardon de tomber dans une trivialité de mauvais aloi, mais tu es conscient qu'avec le titre de ton post, tu vas ameuter tous les frustrés sexuels qui consultent Google pour oublier leur acné ?
Nonal, mon ami (-mon semblable, -mon frère même, spèce d'hypocrite !) est-ce que tu crois vraiment que j'aurais pu faire une chose pareille sans le faire exprès ?
Arf ! ça c'est envoyé ! Youpi !
Syl, je crois que ta métamorphose en intellectuel de gauche est pratiquement achevée. Il ne te manque plus que de voter "oui" au referendum.
Rêve ! Et d'abord qu'est-ce qui est intellectuel, et surtout qu'est-ce qui est de gauche là dedans ?
Cédric, je te rappelle qu'il n'y a pas que les intellectuels de gauche pour appeler à voter "oui". Les analphabètes de droite le font aussi.
Eh ! Mais qu'est-ce que vous avez tous après les chacals ? C'est mignon, un chacal. Ca ne tue pas souvent, ça se contente de bouffer des cadavres et des détritus, action salutaire pour l'environnement, quand même.
Réhabilitons le Chacal, petit mammifère injustement méprisé...
Oui mais c'est un peu con aussi : là par exemple, ça interpelle un poëte (re-sic) mort depuis un siècle et demi... Il ne va pas trop répondre, tu sais ?
Ouais, mais c'est qui le geek barbu qui cite le poëte (sic, ter) ?
Je le cite, moi, le poëte (re-re-re-re sic), j'y cause pas à propos de ses inimités zoologiques...
Je réagis avec 4 post de retard, mais je voulais rappeler à Arno le principe de l'inclusion : si tu m'avais dis que les intellectuels de gauche ne votaient pas tous pour le oui, j'aurais compris ta réaction. Mais de dire qu'il n'y a pas que les intellectuels de gauche qui votent pour le oui n'entre absolument pas en contradiction avec ma proposition. Comme quoi tu aurais mieux fait de suivre une formation scientifique comme tout bon journaliste au lieu d'apprendre à réfléchir par toi-même.
En conclusion, Syl et Arno, je crois que je vais recourir à nouveau à l'artifice du smile. Je ne maîtrise visiblement pas suffisamment la langue pour faire passer l'ironie. ;-)
Ah mais ne t'inquiète pas pour le smiley, hein ? Loin de moi l'idée de te prendre au sérieux (nyark) ... N'empêche que je continue à ne pas comprendre ce qui dans le texte ci-dessus me vaut le qualificatif d'intellectuel de gauche...
Le fait que tu te défendes d'être un intellectuel de gauche prouve que tu en es un ! En même temps, pour les gens de gauche, "intellectuel de gauche" est un pléonasme. Pour ceux de droite, c'est sans doûtes un oxymoron.
Je n'ai pas dit non plus que je m'en défendais (donc, si j'admets en être un, ça veut dire que je n'en suis pas ?), je cherche juste à comprendre le rapport avec ma notule de la semaine.
En fait, je pensais que tu réagissais sur le vote "oui" au référendum, et non pas sur ton texte...
Je ne dis pas que c'est intellectuel, je ne dis pas que c'est de gauche non plus. J'ai juste l'image qu'encenser la VO relève de l'"intellectuel de gauche", comme la lecture de Télérama ou la visite des musées d'art moderne. En même temps, tu as été le premier à t'attribuer ce qualificatif après avoir constaté que tu achètes tous les ffff qui sortent : je ne fais que confirmer. ;-)
Pitaing, et tu dirais quoi alors si je te racontais que dimanche, Julie et moi avons laissé des potes sur le pas de leur multiplexe qui allaient voir StarWars, tandis que nous allions voir au Art & Essai d'à côté un film coréen (en VO, bien entendu !) ?
Ca dépend : si le film est sud-coréen, vous êtes l'extrème des intellectuels de gauche. Mais si le film est nord-coréen, vous êtes des intellectuels d'extrème-gauche.