Carpe diem à la Saint Valentin...
Par pensées irréfléchies - Lien permanent
Pour parler de résilience, il faut avoir connu une déchirure mentale tellement grande qu'il y a un moment dans sa vie où on a été mort.
Boris Cyrulnik
Et bien vas-y ! Un sacrifice n'a jamais tué personne !
Créon/Bienvenue au Paradis
Ben on n'a qu'à faire semblant : les alliances invisibles, c'est celles qui durent le plus longtemps !
Le fils du précédent.
Il y a huit ans et quelques jours, je m'apprêtais à passer ma Saint Valentin seul pour la première fois depuis des années, et je n'avais pas trop le moral. Genre vraiment pas du tout alors. Jusque là, c'est une fête qui ne m'avait pas plus intéressé que ça, mais cette année là, ça faisait quelques mois déjà que j'étais incapable de sortir d'une histoire pourtant bel et bien terminée (et je ne savais pas encore qu'il allait encore me falloir cinq bonnes années pour en sortir complètement, mais c'est une autre histoire.) Du coup, j'étais assez (et assez négativement) réceptif à la propagande déversée à longueur d'écrans publicitaires en son, en images qui bougent et en 4x3 sur les murs.
C'est pour ça qu'au jour dit, plutôt que de rester à déprimer en buvant tout seul devant ma télé, j'ai préféré aller boire tout seul dans un troquet (à l'époque, on y passait les Têtes Raides avant la mode, maintenant, c'est un bar karaoké) autrefois fréquenté par la demoiselle disparue et moi, du temps où ça allait mieux. Alors j'y suis allé. Et j'ai bien bu. Et j'ai bien déprimé. J'ai déprimé tout seul en buvant toute la soirée (oh, ça va, hein ! Il y a prescription !) en me répétant en boucle que ça ne pouvait pas être pire.
Ne vous inquiétez pas, on arrive à la partie rigolote.
J'ai donc déprimé, j'ai donc bu et j'ai fini par repartir chez moi, la bite sous le bras (c'est un citation de Brel, je vous le rappelle, avant que vous fassiez des réflexions désagréables.) Persuadé d'avoir vécu une des pires soirées de ma vie, bonne blague. Elle commençait à peine.
Sur la route du retour, je me suis fait un petit peu agresser, et pas forcément le genre on te casse la gueule, on te pique ton blouson et on se casse, non. Une agression comme il faut, avec toutes les options (enfin, presque toutes, mes fesses sont sauves, ouf !) Une qui a duré toute la nuit, avec des agresseurs bourrés de coke jusqu'au nez pour qui tuer un mec ou une mouche, c'était pareil. Une dont l'issue a très vite été évidente pour moi, et pourtant à ma grande surprise, au petit matin, après une très longue nuit, ça s'est terminé beaucoup mieux que prévu : sous un camion qui a arraché le capot de ma voiture en arrivant par la droite alors que j'étais assis à la place du mort (quelle ironie !)
J'ai eu du mal à me remettre de cette histoire. Beaucoup de mal, beaucoup de temps, beaucoup de psys. Et pas seulement de cette histoire, mais de son timing avec la précédente : la première pensée que j'ai eu une fois que ça a été physiquement terminé, ça a été "Ça ne peut pas être pire ? Mon cul, oui ! Ça peut toujours être pire !"
J'ai passé les mois qui ont suivi enfermé chez moi. Jusqu'à ce que je me souvienne d'une amie, qui avait elle aussi subi une agression pas piquée des vers, et qui m'avait raconté qu'elle avait passé plus d'un an prostrée. Je me suis dit que je pouvais pas m'engager dans cette voie là et qu'il fallait que je fasse quelque chose. Je me suis donc forcé à bouger mes fesses et je me suis obligé à sortir, à revoir du monde, ce qui était assez difficile d'ailleurs, puisqu'après plusieurs mois passés à me plaindre de mon célibat, le nombre de personnes disposées à écouter mes jérémiades avait drastiquement baissé. À vrai dire, ils étaient un, et il était en garnison à six cent kilomètres de là. Non, ça n'a pas été la meilleure période de mon existence.
Et puis ce n'était pas facile d'oublier cette histoire : je commençais à peine à me remettre que les procédures judiciaires ont commencé : j'en sortais un peu, on m'y replongeait. Quand deux ans et demi après j'ai touché de l'argent d'un fond d'indemnisation des victimes (mes agresseurs étant à mille lieux de pouvoir mes payer les dommages et intérêts qu'ils me devaient) j'avais l'impression d'avoir enfin clos le chapitre et que je pouvais enfin commencer à sortir de là. D'ailleurs, à partir de là, ça a été mieux, il y a même plusieurs mois maintenant que je suis capable de parler de tout ça sans trop bégayer...
Sauf que d'un seul coup, ça revient : l'un de mes agresseurs est maintenant en liberté surveillée, et comme il me doit toujours des mille et des cents de dommages et intérêts, il m'a envoyé mon premier mandat. C'est sympa de recevoir de l'argent, mais j'aimerais bien que ça remue moins de choses...
Parce que tout de même, ça m'a bien pourri mes 14 février, ça, depuis.
Le truc bizarre, c'est que si je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi, finalement, je suis bien content que ça me soit arrivé à moi. Ça a changé pas mal de choses dans ma façon d'appréhender la vie. Surtout de me rendre compte que quelle que soit la situation, elle peut toujours être pire. Et aussi que d'avoir passé un certain temps à savoir que tout était terminé, ça change complètement la vision de la vie. Je ne sais plus où j'avais lu cette réflexion finalement assez juste que nous nous croyons tous immortels : nous acceptons l'idée de la mort, pour les autres. Au fond de nous, nous avons tous l'impression que d'une façon ou d'une autre, nous allons passer au travers des mailles du filet.
De mon coté, je comprends beaucoup mieux les changements de personnalité qui peuvent parfois s'opérer chez les gens qui sont passé vraiment très près de la mort : une fois qu'on regarde la faucheuse en face, on se rend compte qu'elle existe réellement, alors que nos tripes nous hurlent le contraire depuis notre naissance. Et c'est bien : il faut se rebeller contre la mort, c'est ce qui permet d'avancer. Sauf que moi, ma foi, je ne cherche plus forcément à avancer : je préfère maintenant profiter. Carpe diem, quam minimum credula postero
disait mon pote Horace : profite du jour présent parce que tu ne peux compter sur demain.
C'est tout le principe : demain, chuis mort. Alors c'est maintenant que j'ai envie de m'amuser.
Cette idée là en tête, je commence à aller vraiment mieux. Alors tant pis pour les anniversaires noirs, tant pis pour les écrans publicitaires en son, en images qui bougent et en 4x3 sur les murs : Cette Saint Valentin ci, je l'ai passée de la meilleure manière qui soit : sans resto, sans cadeau, sans aucun sacrifice à la fée Consommation : simplement la main dans la main avec la fille que je suis amoureux de.
Commentaires
Ben voilà... Je voudrais dire quelque chose mais je ne sais pas quoi-comment. Me sens con.
Et puis ça m'énerve parce que toi tu sais toujours dire les mots qu'il faut alors j'aurais bien aimé pouvoir en faire autant pour toi.
C'est pas grave, hein ? Moi vais bien ! C'est formateur, tout ça, comme dirait Cyrulnik qui m'a appris que j'étais un tit peu résilient. Merci Boris ! :) Allez, je rajoute une citation, pour la peine...
Les extra-terrestres sortent des X-files, le dossier serait-il en cours de classement? Vive la femme et à bas les marchands du temple. Que dire?
Moi aussi je peux poser des citations ?!
- (Pennac)
(une Zoe de tout coeur avec toi)
Sacré témoignage, très bien décrit, bravo... Tu as su prendre du recul et surmonter tout cela, pas facile, mais, oui, tu l'as fait!!! :o))) & tout à fait d'accord avec ti pour la Saint-Valentin!
Cha*
Spécial dédicace (prise hier, publiée aujourd'hui) !
Des bises
Merci la résilience, merci la vie pour chaque prolongation d'instants.