les Épis Noirs : Bienvenue au Paradis
C'est pas vrai ?
L'enfer, c'est les autruches !
Je suis comme tous les autres dieux : je regarde la terre comme un fromage perdu. Et comme le corbeau de la fable, honteux et confus, je ne sais dire que : "Crois !", "Crois !", "Crois !", "Croâ !"
Ma femme, qui n'a pas pu venir non plus, vous fais transmettre ce message : "La vie, c'est court. La mort, c'est long. Et le mariage est un long cours."
Samedi, c'était direction le Théâtre de Ménilmontant pour aller voir les Épis Noirs. Pour ceux qui connaissent, c'est eux qui nous avaient déjà offert FlonFlon l'histoire de l'humanité. Pour ceux qui ne connaissent pas Flon-Flon, c'est bien dommage, parce que vous avez raté quelque chose, qu'on ne retrouve pas dans ce spectacle-ci.
D'ailleurs si : on le retrouve, mais en moins bien : dans la première demie heure, on retrouve beaucoup des aspects marquants du spectacle précédent, mais moins aboutis, moins magiquement placés, moins parfaits, si l'on considère, à l'instar du pote StEx, que la perfection, c'est non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer.
Dans la première demie-heure. Après, ça change. Est-ce que c'est volontaire ? On donne d'emblée au fan du spectacle précédent ce qu'il désire, et très vite on part voir ailleurs si on y est, on explore d'autres horizons, et c'est bien.
C'est vrai qu'on ne peut pas tout jouer à trois : maintenant, ils sont six personnages sur scène. Bon d'accord, pour Flon-Flon, ils étaient six aussi, mais à l'époque, on y comptait les Cieux : trois musiciens qui les accompagnaient. Maintenant, il s'agit de six comédiens, et le plus gros de la musique est pré-enregistré, c'est moins spontané.
Terminons les récriminations en comparant les salles : nous avions vu Flon-Flon à la Gaieté-Montparnasse, et c'est quand même sévèrement plus sympa que le théâtre de Ménilmontant. La Gaieté, c'est un mini-théâtre à l'ancienne. Une espèce de théâtre à l'italienne à un seul petit niveau. Le théâtre de Ménilmontant, on dirait une salle polyvalente : c'est rectangulaire. Droit. Froid.
Heureusement, il reste la malle.
Maintenant qu'on a évacué les reproches, il est temps de passer aux chose intéressantes. Parce que j'ai l'air comme ça de dire du mal, oui, mais si j'ai effectivement l'impression qu'ils ont perdu en spontanéité, ils ont largement compensé en gagnant en profondeur.
Bienvenue au Paradis, c'est une tragédie de bonne lignée : c'est une adaptation contemporaine d'une adaptation moderne d'une tragédie antique : c'est en effet la vision des Épis Noirs non pas de l'Antigone de Sophocle, mais plutôt de la version de Jean Anouilh de cette dernière : on y retrouve Créon et Jocaste, mais les enfants s'appellent maintenant Manon, Marie, ou Alexandre, ça change de Ismène, Hémon ou Antigone.
Par contre, le reste est là : dès le début, un monologue nous apprend que les gens vont mourir, et puis nous aussi d'ailleurs, mais là n'est pas la question. On retrouve la soeur volage, la mère bavarde, le garde aux aspirations étriquées (Parfois, quand ma femme perd des cheveux sous la douche, elle me dit "Je deviens vieille !" Alors moi je l'engueule, parce que ça bouche les canalisations !
)... et l'héroïne qui n'entend pas être raisonnable. Et comme l'Antigone de Anouilh en son temps (qui a écrit sa version en 1942, et l'on a beaucoup glosé sur la métaphore de la France envahie/résistante que la pièce pouvait être) la Manon de Épis Noirs porte tout l'intérêt de la pièce avec ce refus d'être raisonnable, pas tout à fait de la même manière, pas tout à fait pour les mêmes raisons, mais avec la même force.
Et l'héroïne et la pièce profitent d'un dialogue direct avec le public, lequel comme chez Anouilh, et dans une moindre mesure chez Sophocle, est directement apostrophé et pris à parti, pour essayer de faire passer le dégoût de l'embourgeoisement, celui là même que Brel fustigeait : cette façon qu'ont les gens de ranger soigneusement sur des étagères leurs idéaux et rêves des jeunesse. Comme le crie Manon : Depuis combien de temps n'avez vous pas entendu votre cœur battre ?
Si même vous n'êtes pas sensible au message, n'hésitez pourtant pas à aller l'entendre : la forme est épatante. Ils ont toujours une pèche absolument extraordinaire, tous, mais surtout Manon, qui continue à courir un marathon à chaque représentation. Cette fille brûle les planches d'une manière assez rare. Et tout le monde chante, tout le monde danse... Les musiques qui passent sur bandes sont parfois un peu chargées en synthé, on n'aurait pas eu ce problème avec les Cieux de Flon-Flon, mais les Cieux n'auraient peut-être pas pu lutter au niveau du volume, et si je suis généralement très critique dès qu'un volume monte un peu trop haut, mais ici, associé aux lumières qui sont parfois elles aussi très directives, le volume était parfaitement justifié, pour parfois écraser la scène.
Les lumières... Rien à dire, allez-y et ouvrez grands les mirettes lors de l'apparition de Zeus !
d'ailleurs allez-y, tout court. Allez-y et laissez vous emporter par le rythme des Épis Noirs. Si vous n'êtes pas intéressé par ce qui s'y raconte, vous allez au moins aimer la façon dont c'est raconté. Si vous en ressortez sans ce qu'en jargon technique on appelle la banane, vous avez le droit de venir râler.
les Épis Noirs - Bienvenue au Paradis
Au théâtre de Ménilmontant jusqu'au 05 mars.
La prochaine fois, je vous parlerai de la regrettable absence de Raymond, la brebis.
Publié le 09/02/05, dans la rubrique lez'Arts.
(lire d'autres billets sur : spectacle vivant )
Commentaires
1. Par Fabien, le 17/03/2006 à 18:47
2. Par SOPH, le 22/05/2007 à 08:36