sur la fatigue

La mort semble bien moins terrible, quand on est fatigué.
Simone de Beauvoir

Hier, j'ai bossé jusqu'à onze heures. Ça n'arrive heureusement pas tous les jours... D'ailleurs, je n'ai heureusement pas toutes les semaines une semaine comme celle-ci... Parce que si je jette un peu un coup d'œil en arrière, en maintenant et en avant, c'est ce que j'appelle une semaine chargée : vendredi dernier, pièce, puis buvage de coup, samedi bourrage de goule, dimanche comatage après trois heures de sommeil puis sortie puis route jusqu'à Bruxelles, lundi coups de téléphone dans tous les sens en profitant pour une fois d'une soirée chez moi, mardi permanence jusque tard, mercredi retour à Lille et cloture du festi, jeudi retour à Bruxelles et soirée qui va sans doute se terminer tard, vendredi retour à Lille puis route pour aller boire avec mon Toutoune, vendredi répète arrosée et enfumée, dimanche retour à Bruxelles tard comme d'habitude.... Le premier qui m'emmerde lundi prochain, je lui en colle une.

Ce qui est rigolo, c'est que certains me font des réflexions comme quoi il parait que je suis toujours en train de dire que je suis fatigué... Je n'ai plus l'âge de ces colleries, moi. C'est un rythme que je pouvais tenir à vingt ans, que je tenais encore à vingt-cinq, mais la trentaine commence à se faire sentir.

Moi même parfois, j'ai l'impression que je ne fais rien. Oui, ça aussi c'est rigolo : Je passe mon temps à courir dans tous les sens et j'ai l'impression que je ne fais rien. Je crois tout simplement que je ne fais pas la moitié de ce que je voudrais faire. Tiens, c'est étrange, voilà que pour la première fois je me rends compte que je ne suis pas le glandeur ultime que je croyais être.

La vie est décidément trop courte et trop remplie, mais alors pourquoi ai-je cette lancinante impression de vide ? Dois-je essayer de remplir les petits morceaux de temps réellement libre qui me restent pour me mettre à peindre, à écrire, à faire du sport, à faire des maths (ça a l'air étrange comme ça, mais j'adore les maths) ? Mais alors je vais mourir!

Moui. De toutes façons, je vais mourir, me dira-t'on. Alors qu'est ce que ça change. Peut-être, mais j'ai l'impression que si je cours encore un peu plus, je ne profiterais plus autant de tout ce que je vis actuellement, il arrive un moment où la fatigue n'est plus un excitant.

Parce que c'est ça aussi, la fatigue, quand on n'en abuse pas trop. Je fais partie de ces gens qui ont besoin de huit heures de sommeil pour être en forme... Je ne les prends jamais. En moyenne, mes nuits durent six heures, ça m'est suffisant pour vivre, pas pour être en pleine forme, mais je n'ai pas le temps d'en faire plus. Et puis de toutes façons, la nuit est pour moi un trajet, un voyage comme les autres : j'ai encore trois mille choses à faire avant de partir. Et le réveil ne veut pas attendre : qu'on soit en semaine et je dois me lever pour aller bosser-jouer, qu'on soit le week-end ou en vacances et je me réveille le plus tôt possible, sans forcément le vouloir, mais sans pouvoir rien y faire, et surtout en étant complètement incapable de me rendormir. Mais comment font les gens pour se rendormir une fois éveillés ? Et pour dormir en plein milieu de la journée ? Je ne comprends pas la sieste, même si parfois j'y aspire.

Tout ça pour parler de la fatigue : c'est une vieille copine, depuis le temps que je la fréquente, et elle permet aussi de se dépasser : étant en permanence en état de manque de sommeil, la seule chose qui me fait tenir, ce sont les nerfs. Je suis toujours nerveux. Pas de cette nervosité qui s'exprime en gestes brusques et en tremblements, mais de celle qui empêche une réelle concentration, de celle qui permet de jouer à l'aiguilleur fou avec les connexions neuronales... Donnez moi un mot, une idée, une image et l'instant d'après, par le biais de trente deux associations d'idées, je suis en train de penser à autre chose. De là vient sans doute l'impression qu'on certains que je suis dur à suivre, voire fatiguant. Voilà qui est amusant : de la fatigue contagieuse !

Et pourtant, je suis en baisse de régime. Je me souviens de l'année où j'ai (finalement) obtenu mon bac : Tous les matins, je partais au boulot -étant candidat libre ét réformé, j'avais trouvé un mi-temps- et tous les après midi je bossais. La plupart du temps jusqu'à deux ou trois heures du matin, il fallait bien que je rattrape toutes ces années de non-apprentissage. Ma moyenne d'heures de sommeil était tombé en dessous de cinq, ce qui fait peu. J'ai bien fait mon boulot, j'ai décroché ce putain de diplôme, bref, j'ai fait une bonne année, entièrement tenu par les nerfs. Force m'est d'avouer que le physique commençait au bout de quelques mois à avoir du mal à suivre, mais je m'en suis sorti. Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes possible, mais -désolé Panglos- j'ai passé les années suivantes de ma scolarité à me reposer un peu, ce qui explique mon manque de diplômes actuel.

Qu'à cela ne tienne, si un jour je meurs de fatigue, je saurai que ça viendra de trop de nuits passées à lire, faire de la musique, du théâtre, bidouiller des nateurs, connaître des filles, bricoler de tout et de rien....

Enfin bref, je mourrais heureux.

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