T'as pas peur ?

C’est une question qu’on m’a plusieurs fois posée : “t’as pas peur ?” Juste parce que j’envoie balader la ville que j’aime, l’appart dans lequel je me sens si bien, le pays où j’habite, mon CDI bien payé avec voiture allemande de fonction, les couloirs de l’Europe, ma vie de célibataire bien établie, etc. Pour une bonne raison, puisque je m’en vais vivre avec la Fille sous la Pluie et qu’elle me fait des choses dedans. Mais aussi pour une ville que je trouve laide, dans une région pour laquelle je n’ai aucune appétence, sans avoir de boulot en vue, loin de mes parents qui ne rajeunissent pas, dans un pays qui dégage politiquement une sacré puanteur, et le tout sans que ça fasse le moindre -et d’extrêmement loin[1]- sens, financièrement parlant.

Et surtout : est-ce que je n’ai pas peur de ce changement ? Comme vous le savez sans doute, j’ai un diplôme d’allergie au changement, pas pour rire : je n’aime pas faire un détour inhabituel, je n’aime pas changer mes horaires, j’ai des angoisses en face du moindre imprévu et je préfère manger tout le temps la même chose. Et ce que je m’apprête à faire est un changement un peu plus important que de devoir prendre un autre mug pour mon café le matin.

Ben non.

Entendons-nous bien : je n’ai pas déchiré mon diplôme. Si je changeais de boulot, je serai paniqué. Si je changeais de quartier, je me sentirais mal. Mais je pourrais imaginer que j’allais devoir me familiariser avec tout un tas de nouveaux collègues et de nouvelles procédures, ou que j’allais devoir trouver de nouveaux magasins et m’habituer à de nouveaux trajets, horaires, etc. Alors que devant ce qui m’attend maintenant, c’est beaucoup plus simple : Je saute dans le vide. Tout change, d’un coup. J’arrache brutalement un sparadrap tellement énorme que je ne peux imaginer les multitudes de petits ré-ajustements qu’il y a derrière, simplement parce qu’il y en a trop pour que ça soit appréhendable .

Les angoisses habituellement viennent d’une construction de scénarios possibles, et au sein de ceux-ci, d’imaginer tout ce qui pourrait aller mal. La peur de l’inconnu, quand on est autiste, c’est qu’on se sait lent à réagir et qu’on essaie de se préparer en ayant à l’esprit un thésaurus complet des situations susceptibles d’arriver. Aujourd’hui, c’est absolument impossible, je n’ai aucune base sur laquelle construire ces scénarios, en face de moi, c’est tout blanc. Je n’arrive pas à m’inquiéter. D’autant franchement, en plus, que ce qui se passera dans deux mois est, en termes d’inquiétudes, très loin derrière la gestion immédiate du déménagement, qui elle me réveille à cinq heures tous les matins, en panique parce que je me dis que je n’y arriverai jamais.

Mais finalement, c’est le contraire. Je savais depuis des mois que j’allais à un moment prendre la décision de faire tout ça, et je freinais des deux pieds. Mais depuis que ça a été décidé, je trouve que tout ça est bien long, et j’aimerais y être : je suis excité comme un gamin qui s’en va au parc d’attraction. Je saute à pieds joints dans l’inconnu, j’ai tout à construire, j’ai tout à découvrir. Jamais dans ma vie je n’ai tourné de page de façon aussi nette : je vais commencer une nouvelle vie. Je sais que je vais vers l’inconfort, mais j’y vais avec plaisir, parce que, en fait, il paraît qu’on n’a qu’une vie.

Note

[1] Pas seulement pour la perte de salaire, ou le fait que je vais maintenant devoir payer ma voiture, son essence et son assurance, mais parce que je me suis bien habitué à ne payer que 90€ par an pour ce qui tient lieu ici d’impôts locaux, à l’absence de redevance puisque je n’ai pas d’abonnement à la télé, ou à la mutuelle qui ne me coûte que 18€ par trimestre.

Commentaires

1. Le dimanche 26 juin 2016, 21:36 par Llu

Tout ce dernier paragraphe <3

J'ai hâte pour toi.

2. Le dimanche 25 septembre 2016, 11:07 par caroline delestret

çà
çà me plait !

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