Difficulté d'exprimer mon point de vue

Long is the road

J’aimerais bien commencer à parler de comment ça se passe dans ma tête, parce que vous êtes peut-être curieux de ça, vous vous demandez peut-être en quoi consiste la différence. J’ai bien peur que ça soit la partie la plus difficile.

C’est très difficile pour plusieurs raisons. Par exemple, parce que si je voulais vous décrire ce qu’il y a de différent entre le mode fonctionnement d’un autiste Asperger et d’un neurotypique, il faudrait que j’ai une idée claire de comment fonctionne un cerveau de neurotypique, et je n’ai pas. Il parait que les autistes ont des déficiences en “théorie de l’esprit”, ce qui permet de comprendre ce qui se passe dans la tête des autres. C’est un concept avec lequel je me bats encore pour le moment.

Ce qui est sûr, c’est que dans mon histoire, l’idée que les autres cerveaux ne fonctionnent pas forcément comme le mien est très récente : personne ne me l’avait jamais dit, et ça ne m’était jamais venu à l’esprit. il a fallu que je lise certaines choses sur la douance pour que d’un seul coup apparaisse l’idée que “pour toi, ça veut dire ça alors que les gens dits normaux vont déduire un truc différent”. KW ? J’ai une petite anecdote que je raconte régulièrement pour expliquer à quel point l’idée qu’un cerveau pouvait fonctionner différemment m’était étrangère : je me souviens très clairement qu’adolescent, souffrant donc d’un cerveau qui ne s’arrêtait jamais, je m’étais fait la réflexion qu’il était heureux que nous ayons le langage pour organiser tout ça, mais sans cet outil, comment faisaient donc les vaches ou les chats pour gérer ce flux d’information permanent ?

Un jour que je discutais du sens de la vie avec mon claviériste préféré, il m’a regardé à un moment et m’a dit “mais en fait, t’arrêtes jamais de réfléchir, toi…”[1] Je me souviens que ça m’a stoppé net. Non, évidemment. Pourquoi ? On peut ? Je ne crois pas qu’il ait jamais eu idée de la somme de réflexions qu’il a déclenchée avec cette simple phrase.

Une autre grosse difficulté pour transmettre ce qui est “différent” dans mon cerveau, c’est qu’il s’agit beaucoup d’une histoire de degrés, mais que les modes de fonctionnement ne sont pas forcément exotiques. Dit autrement : je pourrais vous décrire chacune des “particularités” de la maladie, une fois sur deux vous me diriez “ah oui, c’est comme moi…” Je vais vous dire que je ne me sens pas à l’aise socialement et qu’il m’est désagréable d’aller dans une soirée où je ne connais pas grand-monde. C’est pareil pour vous, j’en suis sûr, mais à quel point ? Moi je vais mettre dans un coin, ne parler à personne, éviter tous les regards, m’accrocher lourdement à la ou les personnes que je connais, répondre par monosyllabes à celles que je ne connais pas qui essayeraient de m’adresser la parole, et je vais regarder ma montre toutes les cinq minutes en attendant d’estimer qu’il n’est plus trop impoli de partir calmer mes sueurs froides dans mon antre. Si vous avez tiré de la situation un plaisir moindre que lors d’une soirée avec vos meilleurs potes, moi, ce que j’en ai tiré, c’est un vrai inconfort physique.

Ce qui me rend difficile le passage de l’information enfin, c’est qu’il m’est très difficile de la hiérarchiser. Mon mode de fonctionnement va me voir m’intéresser un à sujet et à lire tout ce que je trouve de disponible dessus. tu veux que je te fasse un brief ? Ah non, désolé. Je peux te dire tout ce que je sais, et ça va prendre des jours, ou un sous-ensemble aléatoire d’informations, et ça ne va pas t’avancer. On notera que sur ces pages, j’opte plus ou moins pour la première solution. Ceux d’entre vous qui tiendront le coup devant ma verbosité en tireront peut-être quelque-chose.

(photo : POV)

Note

[1] Je me sens obligé de préciser qu’il est lui-même loin d’être bête. Sa réflexion venait d’un étonnement devant la turbine, pas d’une difficulté à suivre la conversation.

Commentaires

1. Le mercredi 9 juillet 2014, 15:40 par Sacrip'Anne

Du coup une question me vient : est-ce que le contact avec des gens via internet en premier t'a aidé à dépasser le grand inconfort du contact social en chair et en os, quand tu les as rencontrés ? Ou bien c'est une question de présence physique à laquelle s'habituer dans tous les cas ?

2. Le mercredi 9 juillet 2014, 17:07 par xave

Les deux mon général. Il y a une énorme partie qui vient de la confiance, donc connaitre les gens en ligne me permet de commencer à les cerner et à leur accorder cette confiance. Quand je les rencontre en vrai, du coup, ça huile le processus qui reste : s'habituer à la présence physique.

Ce qui est extrêmement difficile pour moi, c'est d'établir le contact. Une fois que c'est fait (et le faire en ligne est ce qui me demande le moins de ressources), je suis absolument normal, comme garçon. Presque.

3. Le jeudi 10 juillet 2014, 11:39 par M. LeChieur

Je me faisais récemment la réflexion que tous les livres mainstream qu'on trouve sur la douance s'adressent prioritairement aux personnes non-concernées : "les surdoués fonctionnent comme ceci, comme cela...". Or, ce qui serait véritablement utile aux surdoués (dans un premier temps, pour prendre conscience avec acuité de leur différence, puis pour mieux gérer leurs interactions), ce serait un bouquin détaillé sur les NT : comment ils vivent, comment ils pensent, etc. Je sais que cette idée peut sembler complètement ironique, mais dans mon esprit elle ne l'est pas du tout. La première fois j'ai lu le bouquin de Fiaud-Sacchin, si je n'avais pas eu une NT sous la main pour m'aider à décrypter les portraits de surdoués présentés, je n'y aurais rien compris.

4. Le jeudi 10 juillet 2014, 11:41 par M. LeChieur

(Hi hi hi, j'ai écrit "Fiaud-Sacchin"... Le dyxlemsimse...)

5. Le jeudi 10 juillet 2014, 11:48 par xave

Le problème est renversé, mais c'est le même, effectivement : se mettre dans la tête de l'autre pour envisager une opinion différente, c'est que dalle. Faire la même chose pour envisager un mode de fonctionnement différent, c'est quasi mission impossible, surtout quand effectivement à la base, ça ne te vient pas à l'idée que ça puisse exister, un mode de fonctionnement différent.

6. Le jeudi 10 juillet 2014, 14:12 par Franck

…Faire la même chose pour envisager un mode de fonctionnement différent, c'est quasi mission impossible…

Est-ce encore le cas, maintenant que tu sais que d’autres fonctionnement existent ? Ou dit autrement, est-ce qu’il t’es possible d’apprendre à prendre en compte cette ou ces différences ?

PS : Je précise que c’est une question de candide, je ne connais absolument rien à l’autisme et ses différentes formes.

7. Le jeudi 10 juillet 2014, 17:26 par xave

Encore une fois, ce n'est ni tout noir, ni tout blanc, mais ça reste difficile. Comprendre qu'il existait d'autres modes de fonctionnement aide, c'est sûr, mais ça ne permet pas tout. Métaphorons un instant : si un aveugle n'a jamais su que les autres voyaient, le jour où il l'apprend, ça l'aide à comprendre beaucoup de choses. Mais comment lui explique-tu les couleurs ?

8. Le jeudi 10 juillet 2014, 19:35 par Franck

Expliquer les couleurs ? Par analogie je suppose, mais ce sera imparfait, évidemment.

9. Le jeudi 10 juillet 2014, 19:37 par xave

Voilà.

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