"... but it's a gift."

Temps désertique à nuageux en fin d'après-midi

Asperger, donc ; Trouble du Spectre Autistique. C’est de l’autisme, donc oui, bien sûr, c’est un handicap. En tant que tel, ça peut parfois être très lourd à porter, pour celui ou celle qui en est atteint comme pour les proches. Mais ne voir que les côtés négatifs, si vous me pardonnez l’expression, ça casse un peu les couilles.

Parce qu’ on est très loin d’un problème dans lequel il n’y a que du mauvais. Au contraire, la plupart du temps, les à-côtés de la maladie peuvent être très positifs. En particulier, l’inaptitude à saisir les subtilités de la relation sociale font qu’on se retrouve en face de personnes qui quelquefois sont très directes, passent pour être brutales même, mais sont en revanche d’une honnêteté totale. C’est cette honnêteté qui donne l’impression de brutalité, puisque dans notre tête, nous ne faisons que transmettre un avis ou une information. La brutalité est alors ressentie simplement parce que pour ceux qu’on appelle les NT, les neuro-typiques, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas le handicap, une autre caractéristique de base n’est pas forcément évidente : l’absence totale de jugement moral.

J’ai souvent répété qu’une de mes devises les plus importantes me vient de Brassens : “Gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacrosaint se borne à ne pas trop emmerder le voisin.” Le seul jugement que je peux porter, c’est à propos du mal que vous vous faites (et encore) et surtout de celui que vous faites aux autres. Un fois sorti de là, je n’ai absolument aucun sens de moralité sociale, comme la plupart des Aspies (je vous ai dit que c’était notre petit nom ?). Une des choses que mes amis apprécient chez moi, c’est qu’on peut tout me dire sans que je juge jamais.

Parce que oui, j’ai des amis. De grosses difficultés pour m’en faire, comme souvent chez les Aspies. Mais la maladie a aussi pour conséquence une loyauté indéfectible. Ça n’est pas toujours facile à gérer, parce qu’un Asperger va souvent avoir des problèmes pour exprimer ce qu’il ressent, aucun problème pour exprimer ses opinions négatives, avoir besoin de se retrouver seul, avoir du mal à quitter son antre et pourra ne pas donner de nouvelles pendant des mois, mais une fois qu’il vous a mis dans la case “amis”, vous allez avoir du mal à en sortir[1]

Et si vous n’êtes pas mon ami, j’ai quand-même de bon côtés : un grand sens de la justice sociale par exemple ; un forum d’Aspies, c’est rigolo, c’est un repaire de gauchistes. Une recherche de la vérité et de la précision, aussi, à cause d’un besoin de comprendre. Je ne passe pas mon temps sur Wikipédia à lire des articles au hasard pour engranger des connaissances diverses et variées : je lance un moteur de recherche pour trouver cinquante-sept articles sur le même sujet, que je vais aller lire pour essayer d’avoir une vision globale et précise[2]. Dans le cadre professionnel, je suis très indépendant et très imaginatif pour trouver des solutions (tout plutôt que de se reposer sur les autres).

Et surtout, et là je ne sais pas si je peux me permettre de parler pour tous mes petits camarades, j’ai une empathie énorme. Je sais, ça va à l’encontre des clichés, mais j’ai passé ma vie à ne pas comprendre ce qu’il y a dans la tête des autres et à faire des efforts -puisque c’était la seule manière de survivre en société- pour essayer de le deviner. Aujourd’hui, j’ai toujours du mal à comprendre, mais si j’ai du mal à saisir votre sentiment du moment, je comprends votre point de vue, même s’il diffère du mien. Je n’ai pas d’effort à faire, ce n’est pas de la politesse : j’ai vraiment une conscience aigüe et permanente que mon point de vue n’est valable qu’en fonction de mon histoire, que ma vérité m’est relative, et que vos opinions, même si elles s’opposent aux miennes, n’ont pas intrinsèquement moins de valeur. Ça marche quand vous aimez les petits pois que je déteste, comme ça marche quand vous aimez Patrick Sébastien[3].

Ces bons côtés n’en sont que parce que ça correspond à mes valeurs, valeurs qui sont les miennes parce que mon cerveau fonctionne comme ça, donc c’est surtout à vous de juger.


(photo : Temps désertique à nuageux en fin d'après-midi)

Notes

[1] Moi qui vous parle, douze ans après une engueulade qui a fait que nous ne nous sommes plus vus depuis, il y en a un que j’appelle toujours mon meilleur ami quand je parle de lui.

[2] J’avoue, c’est ça aussi qui me fait posséder une quinzaine de versions différentes d’un même album.

[3] Cette histoire de petits pois vient d’un conversation que j’ai eu il y a vingt ans sur cet exact sujet, peut-être pas le point de départ de cette réflexion, mais la plus ancienne borne dont je me souvienne. Patrick Sébastien est un exemple que je donne souvent de quelqu’un pour qui j’ai énormément de respect de par son succès populaire, alors que j’ai une aversion atavique envers tout ce qu’il fait.

Commentaires

1. Le jeudi 19 juin 2014, 03:57 par saymonz

Je ne pense pas partager ton syndrome, mais je me reconnais grave dans ton quatrième paragraphe.

Tu veux être mon ami ?

2. Le jeudi 19 juin 2014, 08:11 par LeChieur

Ce que tu décris là (exception faite des difficultés relationnelles et de la complexité à mettre en oeuvre l'empathie), c'est plus emblématique de ta sous-couche de douance que d'Asperger, nan ? En tout cas, l'absence de "valeurs" morales, le désir de justice (et de justesse), les recherches effrénées sur Wikipedia et l'empathie, je pourrais signer tout ça des deux mains.

3. Le jeudi 19 juin 2014, 09:18 par xave

@saymonz Ahah, ben ouais, mais d'abord il va falloir qu'on boive un coup ou deux. Tu passes ?

@LeChieur Low key coming out? Non, ça, c'est vraiment typique d'Asperger : il y a une difficulté à "imprimer" les implicites, et les valeurs morales font partie des implicites d'une société. Si tu ajoutes un self défectueux qui t'empêche de considérer ton point de vue autrement que comme un parmi la multitude, il devient évident que ton jugement et tes valeurs, donc ta définition de ce qui est moral, ne peuvent être que relatifs.

C'est ce même self défectueux qui te rend absolument conscient de n'être qu'un parmi un tout (les Aspies, ça fait de très bon bouddhistes) et le sens de la justice : ma vie n'est pas juste si celle des autres ne l'est pas, puisque ma vie s'inscrit dans le monde, et que dans le monde, les autres sont majoritaires. Comme disait Solomon Burke: None of us are free if one of us is chained. l'empathie en tant que capacité à sortir de soi pour se mettre dans les pompes de l'autre, c'est aussi ce self défectueux.

Les recherche effrénées, c'est la douance. Les recherches effrénées stupidement ciblées, c'est l'autisme, c'est la systémisation : l'incapacité à approcher un sujet sans le circonscrire, le classer, y mettre des étiquettes et le comprendre.

Après, encore une fois, si le self défectueux est typique de l'autisme, ces résultats-là ne le sont pas : on peut avoir un self en très bon état et être de gauche. :)

4. Le jeudi 19 juin 2014, 11:18 par LeChieur

(En fait, je suis en train d'écrire un coming out pas du tout high key sur mon propre blog).

Je suis pas convaincu. Le self défectueux, la difficulté avec les implicites, le sentiment d'être un parmi tous les autres, ça me semble commun aux deux situations. Ou alors, il faut que je consulte (again).

5. Le jeudi 19 juin 2014, 13:07 par xave

En tous cas, en ce qui concerne l'autisme, il a été montré que le self est neurologiquement défectueux. On a remarqué que le cerveau n'allumait pas très bien les petites lumières qui y correspondent.

Encore une fois, on parle d'un spectre et on a le droit d'avoir certaines caractéristiques et pas d'autres. Comme on a le droit d'avoir un self abimé à cause de son histoire aussi, comme on peut éventuellement avoir le droit de voir la douance comme ayant une intersection non nulle avec Asperger.

Mais bon, n'oublie pas une différence fondamentale entre toi et moi : moi j'aime les gens, même dans le RER.

(Ça sera avant ou après la suite des Gorgloz ?)

6. Le jeudi 19 juin 2014, 18:17 par M. LeChieur

Oui, mais moi je t'aime. C'est une telle dépense d'énergie que je peux pas aimer tout le monde, du coup.

(Avant ou après les Gorgloz, peu importe : ce sera de toute façon AVANT la narration de ton road-trip sur la route 66).

7. Le jeudi 19 juin 2014, 20:00 par xave

Ah oui mais ça, c'est facile : je ne ferai pas de compte-rendu. Mais du coup, tavu, j'ai des jolies photos sur mes billets.

8. Le mercredi 25 juin 2014, 03:28 par saymonz

@xave J'ai peur de ne pas être très mobile malheureusement, et tu es où toi d'ailleurs ?

9. Le mercredi 25 juin 2014, 16:30 par xave

Ah ben toujours Bruxelles, pour moi. Je préfère la bière au jus de pruneau. :)

10. Le jeudi 26 juin 2014, 03:54 par saymonz

J'ai quitté le pruneau pour le farci poitevin depuis quelques années déjà ;)

11. Le jeudi 26 juin 2014, 07:38 par xave

Tu ne dis jamais rien aussi. Asocial.

12. Le jeudi 26 juin 2014, 10:36 par Sacrip'Anne

"un forum d’Aspies, c’est rigolo, c’est un repaire de gauchistes", et bé si tu veux mon avis, il en faudrait quelques-uns parmi les élus, aussi.

Même si je vois bien comment ça pourrait poser problème aux neuro-typiques pendant les campagnes électorales. "Le candidat de la vérité absolue et qui ne se sentira pas obligé de vous claquer la bise".

N'empêche. Ça ferait du bien.

13. Le jeudi 26 juin 2014, 14:13 par xave

Oh my, oui. Mais je confirme que l'honnêteté, même bien attentionnée, peut être très mal vue par les gens qui voient du sous-entendu partout. Les Aspies sont inaptes au sous-entendu.

Et franchement, si on me demandait mon avis, tout le monde pourrait arrêter ces conneries. Quand j'ai rencontré ma Canadienne, je lui ai dit "si jamais tu penses déceler le moindre sous-entendu dans mes phrases : non. Je n'en fais jamais. De la même manière, s'il te plait, n'en fais pas. Si tu as quelque-chose à me dire, dis-le. Je le prendrai comme une information, pas comme un commentaire désagréable." Une paire d'années plus tard, elle m'a dit que c'était ça avait permis un niveau d'échange et de communication qu'elle n'avait jamais rencontré auparavant. Et c'est tellement plus reposant, en plus.

14. Le lundi 30 juin 2014, 07:09 par M. LeChieur

Cette femme mérite une médaille.

15. Le dimanche 6 juillet 2014, 23:00 par gilda

Au delà de la question de l'autisme ton billet vient de m'aider à compléter la compréhension de la fin de certaines amitiés qui pour moi ont beaucoup compté. Être honnête et sans sous-entendus crée en société beaucoup d'ennuis. Le pire c'est de s'en voir attribuer par ceux qui fonctionnent ainsi - ce qui est d'autant plus imparable que lorsqu'on fonctionne sans il nous est difficile de voir venir ce qu'on va nous coller comme implicite supposé -. Merci d'avoir soudain éclairé ma lanterne.

Et effectivement, un avantage d'être toujours honnête sans la moindre hypocrisie c'est que les amis qui restent, c'est des vrais.

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