Bande de tarés (ou "MER IL SON FOU!")
Par N'importe-quoi - Lien permanent
Or ça. Ce week-end, j’étais à Caen (ce week-end, je viens de vous le dire.) Et histoire de profiter de la prodigieuse météo locale, nous avons fait l’une ou l’autre sortie. Permettez-moi de garder l’une par devers moi mais l’autre nous a mené au Musée de Normandie pour, entre autres, une exposition sur la reconstruction de Caen après la guerre.
Ça fait maintenant quelques années que je fréquente régulièrement la ville aux cents clochers (non, pas Prague, l’autre) (non, pas Montréal non plus) (ni aucune des autres à l’exception du chef-lieu de la Basse-Normandie, ça suffit maintenant) et je commence à avoir une certaine familiarité avec les lieux, les lieux en l’état, je veux dire, parce que je sais que la ville au sortir de la guerre ressemblait vaguement à ma cuisine : un champ de ruines fumant où tout était rasé (ce qui est un peu con pour un patelin qui a une telle histoire.)
Cette familiarité n’était pas suffisante jusqu’ici pour que je m’intéresse à l’histoire de la ville : moi, j’aime bien retrouver des traces que les siècles de vie ont laissé dans le bâti des cités, et je n’imaginais guère pouvoir trouver quoi que ce soit d’intéressant dans une ville dont des quartiers entiers ont l’air d’avoir été importés en l’état de Berlin Est. Et puis j’ai vu cette expo ce week-end.
En elle-même, c’était une petit expo temporaire sans grande profondeur (trois écrans, deux vitrines…) mais il y avait les maquettes :
Moi, des maquettes pareilles, ça me permet de me mettre dans le bain et d’aller vraiment visiter l’époque dans ma tête, alors j’ai bloqué. J’ai compris aussi en les voyant ce qui ne m’était jamais apparu jusqu’alors : en contrebas du château, le quartier tout empreint de délicatesse architecturale mussolinienne de l’île Saint-Jean était le cœur historique de la ville, avant que les divers bombardements n’en effacent jusqu’au plan des sols[1].
Du coup, voilà qu’au lieu de préparer mes vacances qui approchent à grand pas, je me retrouve à faire des recherches sur Caen et sa reconstruction. Premier arrêt : la page de Wikipedia qui en parle. Et là, qu’est-ce que j’apprends de drôle ?
Quand l’île Saint-Jean a été pratiquement entièrement rasée, il y a des gens qui se sont dit que ça avait quand même des avantages indéniables : on allait enfin pouvoir revoir le plan de circulation de la ville et faire des grandes avenues larges et rectilignes, histoire de donner enfin à la voiture la place centrale qui lui revient de plein droit. Quelques clapiers mi-luxe uniformes et dont l’harmonie n’est pas honteusement brisée par un quelconque accès de singularité complètent naturellement ce tableau digne des meilleures architectes staliniens[2]
Bon, ok, c’est un choix, après tout, il n’y avait plus rien, la table rase avait été faite, il n’y avait plus rien à respecter. Bien.
Mais là où je me demande sur quel planète je suis, c’est quand je découvre le projet de l’époque de prolonger le plus loin possible la magnifique et nouvellement créée donc avenue du Six-Juin, l’axe majeur du nouvel aménagement, une espèce de petit sentier bucolique étudié pour pouvoir y faire passer six chars de front. Oh ben c’est facile, se sont-ils alors dit : il n’y a qu’à passer à travers le château. Si, si, le vieux machin, là, construit par Guillaume le Conquérant et même pas entièrement détruit par les bombes.
Vous, je ne sais pas, mais perso, si ma maison prenait feu et que je n’en pouvais récupérer que quelques photos, je ne suis pas sûr que j’irai déchirer l’une d’entre elles pour vous écrire mon numéro de téléphone au dos. Ben les édiles présidant à la reconstruction de Caen, si : Tiens, la ville est rasée et avec elle la presque totalité de son patrimoine historique, mais il reste une forteresse médiévale en plein milieu. Faisons-y passer les bulldozers, ça prend de la place.
Là dessus ont débarqué ces empêcheurs de tourner en rond que sont les Monuments Historiques, qui leur ont signalé que vous êtes bien gentils, mais non. malgré le soutien unanime de la population, du conseil municipal et de la Commission départementale
, qu’ils disent, sur Wikipédia. Non, je vous assure, allez-y, déchirez la photo.
Heureusement, ils avaient un plan B : faire bifurquer l’avenue pour contourner le château. Il suffisait de raser ce quartier là[3] :
Après tout, ce n’était que le dernier quartier médiéval à avoir survécu.
Finalement, ils ont eu des scrupules (enfin, le maire, d’autres ont du le considérer comme un emmerdeur.) Mais rien que de penser qu’ils ont songé très sérieusement à le faire, ma foi, je n’avais plus autant ri depuis que j’ai découvert les projets de Pompidou[4] ou les idées de Le Corbusier[5] pour Paris.
Notes
[1] Sauf une paire d’églises, c’est solide ces choses là.
[2] Berlin-Est, le Duce, le Petit Père des Peuples… Si avec des références pareilles je n’ai pas mon point Godwin, je ne comprends plus rien.
[3] Photo de Martin1813, sous licence Creative Commons
[4] Plan, ainsi qu’un article de Paris Match d’époque qui en parle, trouvé ici.
[5] Tous mes travaux sont publics et jamais le conseil municipal ne m’a appelé !
Tu m’étonnes.
Commentaires
Épouse-moi.
mais il n'y a pas que Caen et Paris qui ont échappé de justesse à une éradication de leur patrimoine au "profit" d'autoroutes internes ou de magnifiques immeubles en béton, ce fut la même histoire, et le même combat, dans une bonne dizaine de villes en France (Lyon, Colmar, Sarlat ... toutes ces villes envahies de touristes) !
et là, on peut tous s'exclamer en choeur : "merciii Andréééé" (Malraux), car c'est lui qui a empêché ces désastres par la promulgation de la loi du 4 août 1964 (enfin dans ces eaux-là) en créant les secteurs sauvegardés régis par les fameux PSMV (qui font mortellement chier ceux qui y habitent).
parce que oui, le patrimoine c'est beau, c'est bien, c'est fort .. quand on le visite ! après, pour y habiter, il faut souvent bien plus que de la motivation ou un loyer pas trop élevé (ce qui n'est pas forcément le cas), mais souvent un réel militantisme.
et là, même la patrimoniale qui vous parle en ce moment même y va à reculons ....
LeChieur> Parlons d'abord de la garde des enfants.
Carine> Oui, c'était forcément le 4 août, c'est un jour pour de grandes choses. Mais les gens qui râlent, on peut les faire habiter sous une autoroute urbaine pendant un an, histoire de bien leur faire comprendre l'intérêt de la préservation.
Avant d'évoquer la garde des alpinistes, corrigeons gaiment la légende de ta dernière photo : on dit "Le Vaugueux", donc le quartier "du" Vaugueux, pas "de" Vaugueux. Est-ce que je dis "La Marolle" ou "La Grande Sablon", moi ? Nanmého.
gaiement*, pfff. Fatigué.
dit-il en omettant un "e" où il aurait dû le mettre.
C'est corrigé.