Avanos

photo: sur la routeAprès une bonne nuit (surtout pour celui d'entre nous deux qui ne se mouche pas) nous nous levons relativement tôt : aujourd'hui, c'est route. À l'heure où d'habitude nous nous levons, nous y sommes déjà, sur la route (en espérant que ce soit la bonne : il y a beaucoup de changements dans les routes du coin depuis la rédaction de notre Guide du Routard 2005/2006, il y a vraisemblablement une dizaine d'années.)

Après un plein, nous voilà donc en route. Aujourd'hui, nous prévoyons plus de 600 kilomètres, autant dire la journée. Nous le savons : toutes les deux heures, la pause s'impose... Au bout de deux heures justement, nous traversons Konya, un patelin assez imposant (Une ville sainte aux monuments religieux ...Abritant dans ses murs un certain nombre d'intégristes musulmans...) N'ayant pas plus envie que ça de nous frotter aux Chiites, nous décidons de ne pas nous arrêter ici, mais plutôt d'attendre le premier coin sympa en bord de route après la sortie pour y déplier les jambes et manger quelques oranges.

photo: paysage

Peine perdue : il n'y a pas de coin sympa. Nous nous engageons sur une route absolument rectiligne, plate et chiante. On voit les montagnes au loin, mais ici, c'est d'une platitude déprimante, que n'égayent pas les bords de la route : sur des dizaines et des dizaines de kilomètres, elle est bordée de pylones électriques : pour moitié alignés en une magnifique imitation du fil qui chante du far west, les autres étrangement brisés, dans des postures qui ne sont pas sans rappeler les parcmètres de Longtarin après le passage du malabar tordeur d'acier. Et pour ce qui est des constructions : on entre-aperçoit des villages dans le lointain, il y a de loin en loin une vague air de repos où un robinet coule en permanence, pour les plus classes, ou complètement taguées et emplies d'ordures pour toutes les autres. Le plus étrange, c'est par moment une cloture qui ne sépare rien de rien, qui suit la route pendant quelques kilomètres, qui disparaît comme elle était apparue, et qui surtout n'enclôt rien, qu'il suffit de contourner.

Comme tout de même je fatigue, nous finissons par nous arrêter sur une aire de repos, évidemment de la pire sorte : c'est laid, c'est glauque, c'est déprimant. Et encore plus évidemment, dès que nous repartons, la route se met à monter, à descendre, à tourner, et les paysages à changer. Bonjour le timing. On finit par voir de nouveaux paysages, mais il n'est plus question de s'arrêter, il nous reste trop de route. Et puis c'est étrange quand même, comme paysages, parfois. C'est rural, mais rural d'un siècle ou deux en arrière, au moins : il y a certains villages où le béton semble n'être pas encore arrivé : c'est de la terre séchée partout, avec juste quelques câbles de baraque en baraque pour rappeler que nous sommes tout de même en 2006. Ah, et puis toute cette partie du pays ressemble à un gigantesque concessionnaire New-Holland aussi...

photo: le vieil AvanosL'intérêt de ces routes tristes, c'est qu'à force de lignes droites, on avance relativement vite : lorsque nous arrivons à Avanos, notre destination, il n'est qu'à peine plus de quinze heures trente, il fait encore jour. La pension Kirkit n'a pas encore reçu notre mail qui leur annonçait que finalement, nous allions arriver deux jours plus tôt que prévu, c'est égal : il leur reste de la place. Et mazette, quelle place : la chambre n'a rien à voir avec celles que nous avons connues jusqu'ici : nous étions habitués jusque là à des chambres sombres, froides, à peine plus grandes que le lit qu'elles doivent contenir (pas toutes pourtant, celle de la pension d'avant hier étaient très bien.) et avec une cabine douche/toilettes/salle-de-bain (attention au papier en prenant la douche !) Rien de tel ici : La chambre est spacieuse, richement décorée, claire et la salle-de-bain, presque aussi grande que la chambre elle-même, est creusée dans la roche.

photo: la chambre

Profitant de ce que le soleil n'est pas couché, nous partons alors nous promener dans le village : après un peu de marche dans la vieille ville puis dans le centre, il nous faut nous rendre à l'évidence : c'est plutôt mort. L'ennui qui en découle, ajouté à la fatigue de la route, amène une légère démotivation des troupes : nous envisageons déjà de remonter plus tôt vers Istanbul. Bah, nous y réfléchirons demain à tête reposée.

photo: notre repasEn attendant, ce soir, c'est resto. On essaye en tous cas : le serveur ne pipe pas un mot d'anglais ni de français (j'exagère, il sait dire Bon appétit.) ce qui rend les explications un rien confuses. Au final, nous ne savons pas exactement ce que nous avons choisi sur un menu pourtant rédigé en français. C'est d'autant plus bête que le patron, lui, a l'air de parler français tout à fait correctement, mais il est occupé avec l'autre couple de clients. Tant pis, allez, nous nous sommes quand même régalés.

Avant d'aller me coucher quand même, un inquiétude : nous avons encore changé la date pour la location de la voiture. Oh, pas grand chose : nous voulons la rendre une demie-journée plus tôt, mais c'est un dimanche après-midi. Suspens ! Est-ce que cette fois-ci, ils répondront au mail ?

Allez, bonne nuit.

Commentaires

1. Le lundi 23 janvier 2006, 21:40 par Pep

Pas de chat ?!

Miracle ...

2. Le lundi 20 février 2006, 12:15 par susana

Bonjour,

J'aimerais ajouter qu'Avanos c'est un endroit bien sympa il faut y rester plusieurs jours pour rencontrer leurs habitants et aimer le village. Apres tu ne voudras plus partir.

3. Le lundi 20 février 2006, 12:23 par xave

Ben, euh ... oui ?

Faut suivre, hein ? :)

4. Le mardi 18 avril 2006, 22:23 par Raphaël Zacharie de Izarra

LES FEUX DE MARS

Depuis trois jours mars répandait ses averses sur la ville. Glacées, mortelles. La grêle qui s'abattait contre les carreaux de la vieille fille produisait des bruits de tambour, entrecoupés de silences. L'obscurité à quatorze heure faisait l'effet d'un tombeau dans la pièce. L'horloge dans l'ombre ronronnait, exaspérante. Chose inattendue, cette atmosphère déprimante n'enchantait plus la pauvre âme aigrie. Ces pluies de mars lui rappelèrent de vieilles ambiances dominicales au goût haïssable de pot-au-feu.

Elle lâcha ses travaux de couture, ouvrit la fenêtre et, le visage fouetté par la bourrasque, défit son affreux chignon... Ses cheveux se délièrent. Ses traits ingrats s'effacèrent un instant sous l'onde qui oignit sa face.

Alors elle hurla longuement au ciel ses désirs immodestes et profonds de femme inassouvie.

Lorsqu'elle referma la fenêtre, haletante, fébrile, elle était presque belle avec ses mèches humides, son front ruisselant de haine. Dans sa tête, un bouleversement venait de se produire. Sa vie allait changer, à quarante-trois ans. Elle toisait le portrait de la Sainte-Vierge suspendu au mur trop chaste de sa demeure trop propre, la rage au coeur. Elle fixait avec dégoût le crucifix en bois rapporté d'un pèlerinage crétinisant à Lourdes. Elle cracha même sur son missel aux coins usés par des années de fausse piété.

Pour la première fois de sa vie elle se mit à haïr de tout son coeur les bondieuseries qui lui avaient tenu compagnie depuis sa naissance. Le lendemain on la vit dans les rues de la ville subitement ensoleillée, arborant une toilette indécente, en quête d'ivresses lubriques. Bien qu'elle fût laide, elle se fit désirable avec des artifices coûteux, toute de dentelles et de furie libidineuse parée.

Cependant elle ne séduisit personne, pas même le Diable. Elle se retrouva seule le soir derrière ses petits carreaux, dépitée, plus laide que jamais. Les pluies mêlées de grêle étaient revenues. Elles redoublèrent. A nouveau les bruits de tambour contre les vitres, l'obscurité, la solitude... Le portrait de la Sainte-Vierge la regardait, toujours fixé au mur. Alors une pâle lueur réapparut dans les ténèbres de sa vie. La tendresse mielleuse qui se dégageait de ce regard en deux dimensions, de cette image parfaitement sulpicienne avait fini par reconquérir la dévoyée, décidément sensible aux éclats de pastel d'une religion faite pour les malheureuses de son espèce.

Touchée, définitivement convaincue, elle se résigna à reprendre le cours ordinaire de sa vie sans relief. Elle se remit à ses travaux de couture au rythme lancinant des tic-tac de la vieille pendule, son missel à portée de main. Les averses de mars martelaient de plus belle les carreaux.

Entre deux bourrasques la grêle qui fondait sur la vitre formait en s'écoulant de longues, lentes, silencieuses larmes de désespoir.

Raphaël Zacharie de Izarra

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