Métaphore

Il fait froid dehors

New York, debriefing #1 : moi

entre chien et loup

Je ne sais pas si je vous ai dit, mais je suis allé à New York.

C’était bien.

Pendant très longtemps, je ne suis pas parti en vacances, ou en tous cas pas loin. J’étais de ces gens qui ne comprennent pas l’intérêt d’aller au bout du monde alors qu’il y a tant de choses à voir en France (c’était même pire : j’ai toujours vu comme de la frime, ouiii, cet été, on a fait l’Amérique du Sud, tu voâs…)

Et j’ai rencontré une fille qui partait en voyage, alors je l’ai suivie, parce que j’aimais faire des choses avec elle. J’ai compris alors que voyager, ce n’était pas seulement accumuler les photos de vacances pour en mettre plein la vue aux amis prolétaires, c’était surtout de la découverte ; d’autres horizons, d’autres paysages, d’autres cultures. Et je me suis mis à aimer ça.

Je ne sais pas si je vous ai dit, mais elle m’a quitté.

C’était pas top.

Pendant très longtemps, je ne suis plus parti en vacances. Je n’étais jamais parti sans elle, jamais parti avant elle. Je voyais les voyages comme un partage et partager tout seul, c’est un peu idiot. Sans compter que n’ayant connu ça qu’avec elle, il me semblait évident que j’allais, si je me décidais, partir avec son fantôme. J’ai donc repoussé pendant deux ans,

N’y tenant plus, et profitant de ce qu’on m’obligeait à prendre plein de congés (depuis que je suis célibataire, je ne sais plus quoi en foutre), j’ai fini par réserver des billets pour New York. C’était un choix à moitié raisonné, parce que si je savais bien que j’en crevais d’envie depuis des années (j’en voulais plus depuis que nous y avions passé trois jours lors de notre premier voyage à deux) je savais aussi que j’allais affronter non seulement le souvenir de tous nos voyages en amoureux, mais surtout tous les souvenirs du tout premier, tout premier avec elle et tout premier tout court.

La question qui est restée en suspens pendant deux ans et qui s’est faite pressante dans les trois semaines qui ont précédé le départ était de savoir si, tout idée de voyage et surtout celui-là me ramenant à elle, j’allais réussir à en tirer du plaisir malgré son absence, suffisamment en tous cas pour que ça vaille le coup.

Je me suis rendu compte très vite que je n’aurais pas de réponse à cette question parce qu’elle était mal formulée : j’ai pris du plaisir parce que j’étais seul.

J’ai découvert le plaisir de la solitude lointaine : je faisais ce que je voulais, quand je voulais, je changeais de programme dès que j’en avais envie, je traînais un peu, beaucoup, ou alors je courais. Et j’ai adoré ça. Avant de partir, j’avais peur du moindre imprévu, parce que ça risquait de faire chanceler mon organisation, et que l’organisation, vraiment, c’est pas mon truc. Sauf que j’ai justement commencé à me sentir indécemment bien au premier imprévu, au premier grain de sable. J’avais juste oublié que je n’étais pas doué pour l’organisation, mais que je l’étais beaucoup plus pour l’improvisation et la réaction face à l’inattendu.

Un autre avantage à la solitude, c’est que je n’ai eu à m’inquiéter pour personne. Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point lors de nos voyages je m’inquiétais pour elle en permanence, en essayant d’être à chaque instant à l’écoute de ses envies et de ses réactions. Voyager seul m’a permis de voyager pour moi, de ne penser qu’à ma gueule, et j’ai trouvé ça extraordinaire. Je me suis tellement immergé dans mon ressenti, dans mes envies, que j’ai fini par oublier leur existence.

Depuis toujours, il y a une part de moi qui est observatrice : tiens, tu es en train de ressentir ça. Là, tu réagis comme ça parce que ça remue tel truc au fond de toi. Toujours cette part qui ne participe pas. C’est flagrant en concert par exemple ; je suis fan absolu de Pink Floyd, dont j’ai vu quatre concerts, plus six concerts solo des différents leaders du groupe. J’ai adoré ça, mais ça n’a jamais été une expérience mystique, parce qu’il y avait toujours cette petite voix qui disait que tel passage était ce que j’attendais, que j’allais discuter de tel autre après le concert, et surtout, pendant ces concerts comme pendant tous les concerts auxquels j’ai assisté dans ma vie, il y avait toujours une petite voix qui disait Là, tu es bien. Vivement que ça soit fini que tu puisses avoir vécu ça.

J’ai bien conscience que c’est naze, que du coup, je ne vis pas les choses à fond, mais il est dur d’échapper à un mode de fonctionnement qu’on a depuis des décennies. Et c’est pour ça que quelques jours après mon retour, je suis resté sur le cul en me rendant compte avec le recul que j’avais vécu la représentation de Hair avec un plaisir au premier degré. Je n’ai pas pensé à l’extérieur, à l’avant ou à l’après, j’étais heureux d’être là et j’aurais voulu que ça ne s’arrête jamais. Et quand j’ai commencé à analyser ça (parce qu’on se ne refait pas) je me suis rendu compte que ça m’avait pris presque une semaine pour en arriver là, mais que j’avais terminé le séjour de cette façon là : sans réfléchir, simplement en prenant du plaisir sur l’instant.

Et quand on a un petit vélo dans la tête qui ne s’arrête jamais, découvrir enfin le plaisir de l’instant, et surtout d’avoir un tel instant qui dure plusieurs jours, c’est un grand bonheur.

(photo disponible en grand / Flickr)

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