Métaphore

Il fait froid dehors

Je reviendrai à Montréal...

La semaine dernière, Montréal et Québec sont apparues dans le street-view de Google, et l’effet est étrange, pour moi qui n’y ai pas mis les pieds depuis des années.

La mémoire est une chose curieuse, la mienne surtout. Je ne fais pas le tri dans ce que j’emmagasine et ça explique sans doute mes problèmes d’archivisme : j’entasse des souvenirs à la pelle et ils restent là, tous au même plan, sans réelle chronologie. Voilà pourquoi j’ai besoin de noter pour pouvoir ordonner cette masse de sensations qui se bousculent sans priorités.

Je me souviens

Ça m’a joué (et donc forcément, ça continue) beaucoup de tours ces derniers mois : vu le temps qui s’est écoulé depuis la rupture et notre quasi absence de contacts dans l’intervalle, elle me voit peut-être comme un amour de jeunesse lointain. Moi, pendant ce temps là, j’ai la rupture en tête comme si elle s’était déroulée hier. Et encore, ça, ça ne serait rien si je n’avais pas ces souvenirs tout aussi nets de ce qui s’est passé également hier, quand tout allait bien et que nous étions heureux : ses gestes, son intonation et le moindre de ses sourires n’ont pas eu en une nuit le temps de s’effacer. Chaque lieu où je l’ai vue évoluer ne serait-ce qu’une fois reste chargé de sa présence, puisqu’elle y était hier.

Cactus et bleu

Chaque lieu surtout, puisque sans que j’en comprenne vraiment le mécanisme, je grave les lieux de manière presque indélébile extrêmement vite. Visitant au printemps avec l’Enchianteresse un endroit que je n’avais pas vu depuis douze ans, je savais ce que j’allais trouver derrière chaque coin de mur. J’ai remarqué le jour où j’ai eu le permis qu’il me suffisait d’être allé à un endroit une fois pour le retrouver systématiquement[1] Pis même : Quand je dis que je n’ai pratiquement pas de souvenirs d’enfance, je parle d’événements, parce que des lieux, j’en ai plein ; Récemment encore, alors que je décrivais à ma mère un endroit où je savais avoir passé des vacances mais que je ne parvenais pas à situer, elle a reconnu facilement à ma description l’endroit où nous étions allés quand j’avais trois ans.

Tout ça n’est certainement pas étranger à mon intérêt pour les cartes, les plans, les ruines ou l’évolution des paysages urbains.

Chateau de Frontenac

Mais j’ai quand même un fonctionnement particulier : j’ai besoin de revenir sur les lieux. Mon premier contact me permet d’emmagasiner des morceaux de décor, mais pas d’avoir une image globale, pas de rattacher les pièces du puzzle. Quand je suis allé à Namur cet été avec les Normands, ça m’a permis de recoller ensemble les magasins, les places, les rues que j’avais parcourues en couple il y a des années ; c’est à la deuxième visite que je deviens familier des lieux.

Du coup, ça m’a fait vraiment bizarre de “retourner” à Québec et à Montréal par le biais du streetview. Je me souviens, à Québec, nous avons remonté la rue de la Sainte-Famille jusqu’à la place, nous sommes allés oublier que nous étions en été dans la Boutique de Noël, puis avons descendu jusqu’à la rue Saint-Jean, un petit tour au Magasin Général, ma première poutine au McDo vert, un peu de magasinage de disques chez Archambault, et puis nous sommes remontés par la rue Sainte-Ursule, tiens, le Petit Coin Latin, je me souviens d’être passé devant ce café…

Je me souvenais parfaitement de l’endroit où était ce magasin de t-shirts, d’avoir descendu la Côte de la Montagne juqu’au Petit Champlain, des Anciens Canadiens où nous sommes allés manger. Je me souviens de cette rue que nous avons prise pour arriver au Musée de la Civilisation, je me souviens du hall de cet hôtel qui m’a valu une scène de ménage parce que j’avais pris cinq minutes pour lire mes mails…

Pont couvert

À Montréal, je me souviens du Zèbre, ce Couette & Croissants au dessus du Parc Lafontaine, je me souviens de ce dépanneur au coin de Laval et de la rue du Roy, je me souviens que nous avons descendu la rue Sainte Catherine à pieds jusqu’au centre Eaton (dont je revois bien les magasins.) Je me souviens du belvédère, de la Maison Smith et de cet écureil dans le Parc du Mont-Royal, je me souviens de la promenade du vieux port, je me souviens d’avoir été impressionné par les strates de la ville au musée Pointe-à-Callière. Par contre, et ça m’énerve, il me reste un paquet d’images que je ne réussis pas à placer : je ne sais plus où était ce resto végétarien, alors que je sais que je reconnaîtrais le quartier si je le voyais. Je ne sais plus non plus où était ce supermarché alors que je saurais y retrouver les yaourts sans problème.

Je me souviens de milliers de petits détails, alors que c’était il y a plus de six ans, qu’il s’agissait de mon premier vrai voyage et que je n’avais pas encore compris que je devais prendre des notes. Qu’en plus j’avais un argentique, donc qu’il m’en reste des tas de photos en désordre et non datées. Mais je garde dans un coin de la tête l’idée de faire un jour les compte-rendus de ces vacances là, des années après ; j’ai déjà sur un coin de disque dur les photos remises dans l’ordre[2], localisées pour la grosse majorité, et un découpage des trajets jour par jour que j’ai réussi à refaire il y a quelques mois. Mes souvenirs de Nouvelle-Zélande ayant été pourris, les vacances au Québec étaient mes plus belles vacances, je ne voudrais pas qu’elles s’affadissent ou deviennent confuses.

Ciel bicolore

Oui, il faut que je mette tout ça au net. Parce que je me souviens de ma découverte du hot-hamburger sur l’Île aux Coudres, je me souviens du supermarché où nous avons acheté du camembert en boite de conserve à Rimouski, comme je me souviens de la route pour arriver aux Jardins de Métis ou de nos balades au canyon des Portes de l’Enfer, au Lac des Américains, au Mont Ernest Laforce ou à l’Île Bonaventure. Je me souviens de cette glace en arrivant à Gaspé. Je me souviens qu’elle dormait déjà sur la moitié des trajets et que ça m’énervait parce que rien que la route pour arriver sur le Trou-du-Chat vaut d’avoir fait le voyage…

Mais je me souviens surtout de son On dirait qu’on est heureux, hein ? qui a peut-être bien été le plus bel instant de toute ma vie.

Notes

[1] Presque. J’ai souvenir d’un lotissement moderne (plan de sol idiot et centaines de maisons identiques) où il m’a fallu aller deux fois avant de retrouver la route. Et je n’ai jamais retrouvé cette maison dans cette ville de Bretagne où j’étais allé une fois quinze ans avant.

[2] C’était étrange aussi de ressortir ces photos là et de voir ces deux gamins dessus. Tout ça est encore tellement proche pour moi que je n’avais pas conscience que nous étions si jeunes à l’époque.

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Commentaires

1. Par gilda, le 17/10/2009 à 00:26

Une des plus tristes et difficiles conséquences de la rupture est que ce qui jusqu'alors était une qualité (par exemple ici pour toi se souvenir si bien des lieux et de leur cartographie) se retourne contre nous et nous rend le deuil encore plus long et ardu.
Il faudrait sans doute pouvoir partir dans d'autres bouts du monde là où aucun souvenir commun ne risquerait de nous cueillir, qu'il soit de vacances ou de vie quotidienne.

Curieux comme chacun voit midi à sa porte, à le lire comme ça, sans expression ni intonation associée, il me semble que s'il m'avait été adressé, j'aurais trouvé ce "on dirait" flippant.
(mais bon je fus si longtemps amoureuse d'un type qui ponctuait toutes ses phrases par "quand même", sans que ça n'éveille aucune alarme en moi ...).

2. Par presque toujours, le 18/10/2009 à 02:17

J'aime bien ce texte. Tu expliques bien, je trouve.
Juste une question : est-ce que le souvenir est plus précis quand tu as eu une forte émotion ?

3. Par xave, le 18/10/2009 à 20:58

Plus précis, pas forcément, non. Mais plus prégnant, oui. Moins susceptible de disparaître avec le temps, d'être écrasé par la masse des nouveaux souvenirs.

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