The Beatles - Revolver
Par lez'Arts - Lien permanent
Il ne m'est pas possible en face d'une quelconque manifestation artistique d'ignorer qu'elle s'inscrit dans un contexte. Ça ne m'est d'aucune utilité dans bien des domaines où mon inculture est crasse, mais c'est bien pratique lorsqu'il s'agit d'une de ces petites choses où j'ai deux ou trois connaissances. La musique pop-rock est une de celles là.
Du coup, j'ai beaucoup de mal à discuter avec les gens qui trouvent les Beatles gentillets, parce que les Beatles (tous les cinq, si j'ose dire, merci monsieur Martin) ont à peu près tout inventé. Il est très facile quarante ans après de minimiser leurs albums en ayant l'impression qu'on est allé beaucoup plus loin depuis, mais s'ils n'étaient pas passés par là, je me demande qui aurait brisé toutes les barrières qu'ils ont massacrées.
Parce que merde, essayez un peu de vous replacer en 65/66, un album, à l'époque, ça a en couverture une jolie photo de l'artiste, et ça contient des chansons au format règlementaire, à l'instrumentation un peu toujours identique et aux paroles essentiellement construites à base de you/me/love/etc. (même si quelques-un commençait à tout doucement essayer de s'écarter parfois de ces formules là. Comme par exemple, l'année d'avant, ce petit groupe, nommé -quelle coïncidence- les Beatles qui avait commencé à utiliser un ou deux instruments bizarres et à intégrer ici où là des éléments extérieurs à la pop, ayant été marqués par leur rencontre avec Dylan qui lui (ça peut paraitre idiot de nos jours, mais à l'époque les frontières étaient plutôt imperméables) naviguait dans le folk et la protest-song, qui étaient résolument à part.)
Voilà donc qu'entre les pochettes de beaux chanteurs souriants, on voit débarquer cette chose :
Déjà, je vous jure, sur un étal de disquaire de 1966, ça détonne. Mais bon, c'est un disque des Beatles, alors forcément, on l'achète, on rentre chez soi, et on le met sur la platine.
Et à ce moment là, on se prend une claque.
Des bruits de studio, des raclements, un décompte et la grosse basse rentre : C'est Taxman d'Harrison qui ouvre le bal, histoire de montrer tout de suite qu'on va être efficace. C'est loin d'être le morceau le plus révolutionnaire de l'album, mais le commentaire social au second degré est quand même loin des Je t'aime, tu m'aimes, c'est beau
auxquels le public de l'époque était habitué.
Le plus gros est à venir, genre là maintenant tout de suite : Eleanor Rigby. Voilà typiquement un morceau que certains de nos jours trouvent joli
. Connerie : à l'époque, quand il arrivait que des cordes rencontrent de la pop, c'est justement quand le Grand Orchestre de Léo Chauliac faisait des reprises des Beatles et ça donnait de la soupe. Le (double) quatuor à cordes dans un album pop ? Totalement inimaginable. Ce morceau n'a pas été énorme parce qu'il était joli
, il l'a été parce qu'il était complètement en dehors de ce qui était possible à l'époque. Du mode dorien en pop ? Sacrilège ! Des paroles sur la solitude des vieux ? Oulah, ça ne se vendra jamais, faites des chansons d'amour, les gars !
Et parce qu'on est lancé, on ne va pas s'arrêter là. I'm only sleeping, de Lennon ? Un très bonne chanson, mais aussi, simplement, la première fois dans l'histoire de la musique qu'on entendait un solo à l'envers. C'est un truc à la con fait des milliers de fois ? Ben oui mais il a bien fallu que des dingues se disent un jour "hé, qu'est-ce qui se passe si ?" Comment voulez-vous que ça soit venu à l'idée de quelqu'un d'autre ? C'est impossible à reproduire sur scène; Mais Revolver a été le premier album de l'histoire de la pop à n'être absolument pas destiné à être joué sur scène, ça aide.
Et l'album entier est rempli de grandes premières dans ce genre là : Le sitar et les tablas de Love You Too n'avaient rien à faire dans un disque de pop. Yellow Submarine, la petite comptine pour enfants, est un festival de bidouillages et d'overdubs tel qu'il n'en a jamais existé. She Said She Said et Doctor Robert ont pratiquement inventé la musique psychedélique à elles toutes seules, jusqu'à Got To Get You Into My Life et Good Day Sunshine qui sont pour nos oreilles actuelles de bêtes morceaux pops, mais écoutez le solo jazzy de de Good Day Sunshine, vous croyez que ça se faisait, ça, à l'époque ? Que dalle, oui.
Et je ne pourrais jamais faire justice au nombre hallucinant de barrières enfoncées par la seule Tomorrow Never Knows, sa base rythmique complètement hypnotique, sur un seul accord du début à la fin, sa voix passée dans une cabine Leslie (mais comment on peut avoir une idée pareille quand personne ne l'a jamais fait ?) ses effets sonores balancés complètement aléatoirement dans le mixage, ses paroles en provenance indirecte et détournée du Livre des Morts tibétains ... Ce truc est encore un OVNI de nos jours, alors à l'époque, je ne réussis même pas à imaginer les réactions.
Ce n'est pas forcément mon album des Beatles préféré, mais on s'en fout totalement, c'est juste un des putain de plus grands albums de tous les temps ![1]
Notes
[1] Et ce n'est pas Brian Wilson, devenu fou en essayant de créer un album de même importance, qui me contredira.
Commentaires
Bravo, tu as raison de faire régner l'ordre et la justice de cette façon. Les Beatles c'est bien, et c'est très très important.
Je ne peux pas être plus d'accord. Dans mon histoire personnelle, les Beatles, c'est très important, c'est ce qui à 15 ans m'a ouvert à autre chose que le classique. C'est pas par hasard, mais bien parce qu'à la différence de tous les autres groupes que mes potes m'avaient fait entendre, j'ai bien senti tout de suite que ces gens-là se préoccupaient de "recherche musicale".
Et le génie des Beatles n'est pas seulement musical, il est aussi dans le fait qu'ils ont su faire aimer des musiques aussi peu formatées au plus grand nombre. Qui aujourd'hui arriverait à vendre un truc comme Tomorrow Never Knows? Même si on légalisait le shit, on n'y arriverait plus...
Sans ses arrangements géniaux (les cordes d'Eleanor Rigby par exemple) et son inventivité révolutionnaire dans la technique du son, entre autre (de la prise du son aux effets, en passant par tous les éléments du mixage tel qu'encore utilisés aujourd'hui (qui a su tirer du multipiste nouveau-né tout ce qu'on pouvez en tirer ? ), les Beatles n'auraient pas fait la carrière de Soldat Louis. George Martin n'est pas le cinquième Beatles, c'est le Premier.
"une jolie photo de l'artiste, et ça contient des chansons au format règlementaire, à l'instrumentation un peu toujours identique et aux paroles essentiellement construites à base de you/me/love/etc."
Merci Monsieur Martin.
Ordoncques voilà un album indispensable dans son audiothèque, c'est dorénavant chose faite ;-)
Merci m'sieur
PS : D'autres indispensables existent ?
J'avais plus jeune l'image d'un groupe "gentil" dont tu parles. Je connaissais comme tout le monde les tubes, mais rien de plus. Bof bof donc. Et puis, on m'a fait écouter Revolver, Abbey Road et le double album blanc... PAF ! TING ! GROMPF !
Ce ne sont pas les disques les plus consensuels, même maintenant : certains morceaux sont complètement barrés, je ne parle même pas des enchaînements rythmiques improbables qui paraissaient tout naturel par la grâce de leur talent, des styles de musiques inventés (si, si, vraiment), des expérimentations tous azimuts notamment décrites dans le billet... bref, j'ai très vite changé mon opinion sur le groupe par le biais de ces disques, et suis toujours stupéfait de voir à quel point il est possible d'arriver à une telle variété de styles tout en gardant son unité musicale.
On peut dire ce qu'on veut des Stones, mais ils n'ont pas inventé grand chose musicalement, ce qui pour moi les placent très loin des Beatles. Mais là n'était pas la question... ;-)
@Franck: Point de salut sans Sergent Pepper's lonely hearts club band dans sa discothèque, je pense que notre hôte sera d'accord.
ouaip, moi je dis comme pascal et tomek, mais sans les justifications, parce que je dois bien le dire, j'y connais rien. Juste je m'en remets pas. Et pour info, même le dernier sorti, le "love", ben il tue. Pourtant, j'aime pas tellement qu'on touche à mes p'tits gars.
@Pascal : Je complète de ce pas, merci ;-)
Les Beatles, le seul groupe dont j'ai été vraiment fan (Les Pink Floyd, c'était différent, plus raisonné, plus intellectualisé mais aussi goûteux). Et j'achetais comme je pouvais leurs 45t (2 ou 4 titres) au fur et à mesure qu'ils sortaient avec le peu d'argent de poche que j'avais (5F par mois...). Mon premier 33t : Sergent Pepper's pour Noël 1968. (j'entrais en 1ère). Depuis, j'ai acheté tous les 33t, puis leur équivalent en CD.
Et je confirme que George Martin était le premier d'entre eux pour les arrangements, Paul et John se débrouillant fort bien pour les paroles et les musiques. Je fais partie de ceux qui ont un peu progressé en anglais en cherchant à comprendre ce qu'ils disaient. Et avec John, ce n'était pas facile parfois.
Pour m'aider, j'avais acheté quand il était sorti (en 1970 ?), un livre illustrant (de façon parfois très psychédélique et par différents auteurs ) certaines chansons, accompagné des textes en anglais ET en français. Je n'ai pas les références sous les yeux. Un petit bijou, à la couverture bien abimée d'avoir été tant lu et relu.
Voici une question qui risque bien de faire exploser le nombre de commentaires !
Alors, dans le désordre, en voici cinq (parmi tant d'autres) :
Polyphonix> Le coup de
, c'est la justification habituelle des gens qui n'aiment pas les Beatles. Je t'invite à aller écouter n'importe quoi de George Martin en solo pour constater à quel point ça ne tient absolument pas la route. Les Beatles avaient le talent, George Martin avait l'ouverture, la compréhension, l'intelligence et la connaissance technique qui le rendait capable de réaliser en claquant des doigts les idées complètement vagues ( ) de ses poulains.(Accessoirement, parler de l'inventivité révolutionnaire de George Martin au sujet des techniques d'enregistrement, c'est oublier un peu vite Norman Smith, Geoff Emerick et Ken Townsend, entre autres. C'est pas sympa pour eux.)
Quant à la photo que tu montres, merci de me rappeler une idée que j'ai oubliée à la rédaction : Quand les Beatles ont enregistré Tomorrow Never Knows, une des chansons les plus barrées de toute leur carrière, ça faisait à peine trois ans qu'ils avaient sorti Please Please Me. Quand on voit la pelletée d'artistes qui sortent le même album tout au long de leur trente ans de carrière, c'est une fois de plus une preuve de leur génie que voir la vitesse pharamineuse de leur progression. Effectivement, ce que je voulais faire passer avec cette idée de photo sur une disque "you/me/love", c'est qu'ils ont sorti Revolver alors que tout le monde imitait encore Please Please Me.
Franck & Pascal> Pour être tout à fait honnête, je n'ai jamais été grand fan de Sergent Pepper, mon opinion toute personnelle est qu'intrinsèquement, il est moins révolutionnaire que son prédécesseur (Revolver donc) et qu'on y trouve plus de remplissage. Cependant, il y a A Day In The Life, et ça, il est totalement inacceptable de passer à côté.
Ceci dit, à peu près tout ce qu'ils ont fait à partir de Rubber Soul est indispensable (les vrais albums en tous cas.) J'ai un trèèèès gros faible pour Abbey Road et bien sûr, la bigarrure hallucinante du double blanc en fait le disque d'île déserte idéal.
Tomek> J'aime beaucoup les Stones, mais effectivement ... D'ailleurs j'aime surtout la première période, quand Brian Jones était encore là, le pauvre Brian Jones qui ne s'est jamais remis de n'être pas un membre des Beatles.
lili violette> J'adore Love. J'adore quand on dérange mon confort d'écoute. La version de Lady Madonna de cet album est une tuerie.
C'est pas Martin qui a tout fait, soit : je suis fan des Beatles depuis que je les connais et je ne dénie pas leur talent musical.
En matière de technique du son, j'aime aussi Alan Parsons, mais je pense que Norman Smith, Geoff Emerick et Ken Townsend ont beaucoup appris auprès de Martin (et peut-être même que Saucerful n'aurait pas été ce qu'il est sans son influence...)
mirovinben> À propos de Pink Floyd, dont je suis le plus grand fan mondial, au même titre que bien d'autres, je crois savoir que Pascal, qui avoue certaines infidélités au classique pour des groupes qui font montre d'une "recherche musicale", est loin d'avoir envers eux de l'animosité.
Les Pink Floyd n'ont rien fait d'autre pendant au moins la première moitié de leur carrière qu'expérimenter pour repousser les limites de leur musique. Entre la musique concrète, l'exploration du concept de spectacle total, la théâtralisation qui s'ensuit et les groupes de musique contemporaine qui jouent du Floyd entre une tranche de Xenakis et une tranche de John Cage, Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai retrouvé un écho de leur recherches dans les galeries et les musées d'art contemporain (Et où je me suis incidemment félicité d'être fan du meilleur groupe de tous les temps.)
Mouais, bon. Ron L'infirmier, quand il cause des Beatles, il a le bon goût de mettre des introuvables en MP3, lui. Pas une mauvaise appli de chez Deezer. M'enfin bon, je dis ça, c'est pour râler, hein.
Ouéééé, la machine à laver !!! Et la lumière des toilettes aussi ???
Bon, je vais sur voyages-sncf.com
A part ça, non, t'as raison. Revolver est un putain de nom de dieu de sa mère de bel album, comme l'album blanc et Sergeant Pepper.
(Et aussi comme le Let it Be qu'on n'a jamais entendu, celui où John est vivant et participe à la réalisation avec Paul, pendant que Phil Spector meurt dans d'atroces souffrances — et que Ringo précipite son trépas à grand coups de saton dans les valseuses, j'aime vraiment pas Phil Spector).
(et ne cite pas la phrase où je dis que tu as raison en rétorquant que c'est constitutif, tu serais prévisible)
(Et je persiste à dire que les Stones sont cent fois plus charnels que les Beatles. Ils n'ont peut-être pas révolutionné la pop ni inspiré les frères Gallagher (un bon point pour eux), mais ils sont plus rock'n'roll et sensuels que Sir "gendre idéal" Paul et que John "je montre mon petit cul blanc pour la paix dans le monde".)
> A part ça, non, t'as raison.
C'est constitutif.
Oui, la lumière des toilettes aussi. Et vous avez laissé tes biscuits bizarres et votre pain d'épices Dandoy, je te les garde ?
Sinon, tu es au courant de l'existence de Let It B... Naked, tout de même ?
Et ben, vingt commentaires dans la journée quand je parle de musique d'il y a quarante ans, il faudra que je recommence. Lâchez vos coms ! :)
Let It Be... Naked : comme quoi un produit allégé peut être supérieur à... heu... "l'original" (?!) !
Dans le domaine du lourdingue, il y a certains morceaux de l'album Yellow Submarine qui valent leur pesant de guimauve. Jamais pu m'y faire et n'ai jamais compris que nos 4 aient pu laisser faire ça. Et pourtant ils sont signés George... Martin. Y a pas que Phil qui "sirupait".
Heu... Je te rappelle que John était mort, pour Let it be... naked. Et je t'interdis de manger mes biscuits bizarres.
ah ouaip, et j'ai oublié de dire, mais pour ceux qu'ont rien à foutre, le bouquin "the beatles anthology" est prenant aussi. Long à lire, y'en a dedans, mais quand même vachement éclairant, après, on a l'impression qu'on connaît les mecs en vrai. Bon, j'arrive pas à sortir de blague, (y'm'faut de la bièèèèèère bordel) alors ça s'arrêtera là, mais j'en pense pas moins. a bientôt, xave
Fais attention, toi, tu es en train de détruire ton image...
Moi, je conseille les Complete Beatles Chronicles de Mark Lewisohn, le spécialiste des Beatles.
m'en fous, mon image, je la retravaillerai, je me montrerai encore plus délirante et méchante même, ça me demandera pratiquement aucun effort...
pour le bouquin que tu conseilles, je m'y pencherai peut être un jour, merci du tuyau...