Métaphore

Il fait froid dehors

Rencontre de jeunesse

Du côté de mon adolescence, quelque part entre les premières pensions alimentaires de mon père et les premières traites de ma mère pour racheter sa part de la maison, nous avons eu de l'argent. Pas suffisamment pour être riches peut-être, mais assez pour se permettre des vacances un peu plus longues et un peu plus loin que nos habituels quinze jours en camping dans l'Hérault. Ça a quand même presque duré trois ans...

Les deux premières années, ma mère a trouvé le truc idéal quand on est une jeune divorcée avec trois enfants : le club de vacances. Du temps libre pour elle (et quand ce n'est que quelques jours sur une année, ça compte) et des activités à ne plus savoir qu'en faire pour nous. J'en ai gardé de très bons souvenirs (aaaah, les buffets gargantuesques pour le petit déjeuner, aaaaah, ma découverte de la voile...) et d'autres moins bons (j'étais déjà plutôt handicapé socialement à cette époque, et personne parmi mes petits camarades n'aimait le gars bizarre avec sa coiffure de Dave.) mais dans l'ensemble, c'était plutôt positif.

La troisième année, les traites de la maison sont arrivés sur le budget, grevant sévèrement celui-ci. N'empêche que c'était bien de partir un peu plus loin, finalement, on ne peux plus ? Ma mère a alors ouvert un catalogue d'agence de voyage et cherché les séjours les moins chers, et les destinations les moins chères étaient les destinations teutonnes. Nous sommes donc cette année là partis en vacances aux Baléares.

Il est notoire pour les gens qui me connaissent que l'adolescence est le moment où je commence à avoir des souvenirs. Pour autant, je n'ai pas un souvenir très précis de ces vacances, rien de chronologique en tous cas : la petite chambre sombre à l'hôtel, la salle à manger, les soirées passées avec les gens rencontrés sur place qui nous ont très vite amenés à un vraie rythme de vacances : quatre repas par jours ; les trois habituels plus celui de minuit/1h du matin. Les délires bruyants de Jacquot, bon vivant extrême, que sa femme savait faire taire d'un "Calme toi un peu" à peine susurré[1], un magazine à forte teneur en filles dénudées (avec en couverture une photo qu'un mien camarade possédait en poster et qui me faisait fantasmer) que j'avais subtilisé à la devanture du bazar-presse d'en face, ma découverte des capotes sur la plage qui en était pleine, et un vieux fort abandonné ...

Je me souviens pas trop mal du vieux fort : il y avait des souterrains. Des couloirs qui s'enfonçaient à un endroit et permettaient de ressortir ici ou là. Avec ma sœur et mon frère, c'était plutôt rigolo, tandis que ma mère restait derrière, à discuter avec nos accointances vacancières. Alors forcément, nous nous en donnions à cœur-joie : Hop, je m'enfonce là, hop, je ressors là, je me cache, tu me trouves... De vrais gamins. C'est exactement ce que nosu étions d'ailleurs.

Vint le moment où nous nous sommes retrouvés ensemble sous terre à une intersection. Par où allons nous ? Est-il préférable de nous séparer ou d'emprunter ensemble un seul boyau ? Va pour une avance groupée, prenons par là.

Quand nous sommes ressortis à l'air libre, à quelques mètres de nous il y avait un arbre. Au pied de cet arbre, un homme nous tournait le dos. Et nous de glousser : On est bête quand on est à peine adolescent, et le pipi, c'est drôle. Enfin, là, ça a été drôle jusqu'au moment où ma sœur nous a fait remarquer que l'homme portait un bien étrange cravate : Oh ! Un pendu ! Bon, c'est dommage, nous étions une dizaine de mètres derrière lui, alors que si nous avions pris de l'autre côté, nous serions tombés à deux mètres devant, nous y aurions eu une meilleure vue.

Bon, ça n'aurait peut-être pas été une bonne idée pour tout le monde : pendant un certain temps, ma sœur a rêvé qu'elle trouvait des morts ici ou là. Dans les mois qui ont suivi, le diabète de son frère s'est déclenché, et il est communément admis qu'un choc émotionel peut déclencher la maladie jusque là latente. Quant à moi ...

Quand à moi, ça fait des années que je peste : Vous croyez franchement que voir un pendu est un truc qui arrive tous les deux jours ? Je n'aurai sans doute pas d'autre occasion de ma vie de voir ça de près, et ce jour là, après avoir prévenu les adultes, on m'a empêché d'y retourner.

J'éprouve depuis une totale frustration scientifique.

(ce souvenir vous est offert par deux histoires télévisées vues ces dernières semaines où des personnages étaient complètement traumatisés parce qu'ils avaient vu un mort. C'est parce qu'on excite ma curiosité plus facilement qu'on ne me traumatise que je ne passe pas à la télé ?)

Notes

[1] J'ai mis des années à comprendre comment cette force de la nature - je revois toujours la façon dont il nous a fait passer une lourde chaise en la tenant d'une main par le bas d'un des pieds de devant - pouvait en un instant passer d'une exubérance folle au silence, sur un murmure de sa femme, toute petite et toute fluette. Il m'a fallu des années et qu'une Julie me fasse comprendre qu'elle n'aimait pas tel ou tel de mes comportements : cet homme était amoureux.

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Commentaires

1. Par Akynou, le 28/09/2006 à 16:54

un pendu ! ça c'est une tranche de vie. Je comprends ta frustration :-)

2. Par LeChieur, le 02/10/2006 à 13:59

Tu es un grand malade.

3. Par xave, le 02/10/2006 à 14:10

Et tu verrais mes copains ...

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