Un (très) long dimanche de fiançailles...

Chez Jeunet, il ne fait pas jour : il fait jaune.
J. Saint-Marc

Je suis allé au ciné, c'est suffisamment rare pour être noté. Et en plus, ce ni pour un documentaire, ni pour un film d'art et essai : je suis allé voir un film qui fait des entrées. Incroyable, non ? Je suis allé voir le dernier Jeunet+Tautou (maic'estpasaméliepoulainheinc'estautrechose !)

Moi, à la base, j'y vais sans a-priori, en tous cas j'essaie : je n'ai toujours pas vu Amélie Poulain. Ne vous fatiguez pas à me dire que c'est un film extraordinaire et qu'on ne peut vivre sans l'avoir vu : on me l'a déjà dit. D'ailleurs, on me l'a déjà dit aussi pour Le Père Noël est une ordure, les bronzés, Basic Instinct, Matrix ou Titanic et j'ai très bien survécu. Si, si, je vous assure. Bon, j'ai fini, des années après, par voir les trois derniers : Titanic, parce que je me suis rendu compte que j'avais aimé tous les autres films du réalisateur, donc pas de raison, surtout que si le Léonard machin ne m'est toujours pas sympathique, il est de notoriété publique que c'est un bon acteur. Pour Basic Instinct ou Matrix, c'est une autre paire de bretelles : j'ai été pendant des années persuadé que les regarder serait une perte de temps. Et quand j'ai fini par les voir, ben... Ça ne n'est pas arrangé. Matrix est le prototype des films de série B qu'on imagine grandiose parce qu'il y a trois effets spéciaux bien foutus, alors que j'ai vu certains épisodes de StarTrek avoir plus d'épaisseur. Et Basic Instinct, en plus de n'être sulfureux qu'à l'américaine (Oh lala, my god, on voit trois poils !) et aussi typique de ces films abscons où on ne prends même pas la peine de boucler le scénario et on pose dès le départ que celui qui n'a pas tout compris est un imbécile. Et vous voudriez que je regarde Mulholland Drive ?

Mais je m'égare.

Essayons de retourner au sujet : le flim. Si je vous raconte que je suis allé voir Un long dimanche de fiançailles et que vous me demandez comment c'était, la première réponse qui me vient à l'esprit est : Jaune. La deuxième est : écrabouillé sous des tonnes de violons sirupeux. La troisième est : long. La quatrième est : Bien fichu, allez-y.

Jaune d'abord. Ben oui, jaune. Il y a une belle invention au niveau du traitement de l'image qu'on appelle étallonage. C'est ce qui manque aux feuilletons sud-américains qui leur donne cet aspect "filmé avec la caméra du tonton". Avec l'arrivée du numérique, c'est super facile à faire : en simplifiant, on prend l'image et on dit "je voudrais telle dominante de couleur." Ça a été utilisé à plein dans Le Seigneur des Anneaux, ça aide à intégrer des images provenant de différentes sources (acteurs, maquettes, synthèse.) Et c'est extrêmement pratique si on veut donner à peu de frais une impression de cohésion tout au long d'un film. Ici, c'est quelque chose que j'ai remarqué avant même de voir le film : l'affiche, déjà est jaune. On dirait qu'ils ont cherché quelle couleur n'avait pas été utilisée pour Amélie Poulain, histoire de bien faire comprendre dès le départ qu'il s'agit vraiment d'un autre film et que non non non monsieur, c'est pas parce que c'est la même équipe avec la même actrice principale et le même réalisateur qu'il y a un rapport !

Mais me le faire comprendre au départ, moi, ça m'aurait suffit, je n'avais pas besoin d'un film qui soit jaune tout le temps, c'est lourd à force. Remarquez, j'exagère : dans les flash-backs de la Grande Guerre, il est bleu. Mais de la même manière, un peu moins de bleu, je n'aurais pas été contre. C'est un peu lourd comme effet, j'aurais cru Jeunet plus subtil.

C'était aussi plein de guimauve, distillée à grand coups de violons, à donf dans le mix. La musique dans un film, c'est bien : ça permet d'aiguiller le spectateur vers une émotion. Ouais, ben l'émotion vers laquelle m'ont guidé ces violons omniprésents à fort volume, c'est une envie de frapper. Est-ce qu'il était vraiment nécessaire que ça aille si fort ? ICI, MERCI DE VOUS SENTIR ÉMU !!!, voilà l'impression que ça m'a fait. Ah non vraiment, c'est un peu lourd comme effet, j'aurais cru Jeunet plus subtil.

Du coup, c'est long. Je ne sais pas si c'est parce que mon cerveau, fixé sur ces problèmes, n'était pas assez disponible, mais j'ai eu du mal à rentrer dans le film. Je n'y suis d'ailleurs jamais réellement parvenu : je l'ai regardé, mais je n'étais pas vraiment dedans. À chaque fois que je me laissais entraîner, on passait brusquement du jaune au bleu ou les violons se mettaient à hurler et je me réveillais aussi sec. Et ne pas être pris par l'ambiance, c'est un peu un handicap pour un film qui mise tant sur l'ambiance. C'est dommage d'ailleurs, parce qu'il y a une histoire intéressante, mais le coté voyant de la machinerie à fabriquer des émotions prend le pas sur le reste. Il faudrait que j'arrête de regarder 'Arrêt sur Images'', je deviens trop critique. Ou alors que je vois des films où c'est fait plus subtilement, mais ça ne va pas être simple, parce que Jeunet, c'est pas un noeult de base, et si lui a d'aussi grosses pattes, qui pourra être délicat ? Il n'y a pas à dire, tous ces mouvements de caméra, tous ces plans super travaillés, tous ces zooms audacieux, toutes ces superpositions très réfléchies, tous ces effets, quoi, c'est un peu lourd. Moi je croyais Jeunet plus subtil.

Avant de vous laisser ranger vos cahiers, je voudrais tout de même tempérer : il y a du bon, du très bon, même, dans le film. L'histoire est effectivement intéressante, l'enquête est intéressante à suivre, j'aurais dit passionnante si le film avait été à son service, plutôt qu'à celui des envies du réalisateur de faire genre. Les reconstitutions sont grandioses : Il y a belle lurette qu'on ne s'était pas approché autant de ce qu'a été la réalité des tranchées (même si encore une fois, la recherche esthétique embellit un peu trop les choses.) Et Paris...

Bon, je triche : évidemment, que même avec tout le mal que j'ai dit, j'ai quand même apprécié le film, mais ça je le savais avant d'entrer : Il y a les reconstitutions. D'abord celles des tranchées, plutôt bien faites quand même, même si le non-réalisme était encore trop présent. Et surtout il y a Paris, Paris en 1920. J'aurais préféré vingt ans avant 1900 que vingt ans après, mais déjà, j'étais content. Pour ceux qui n'aurait pas suivi, rappelons que je suis un ancien Parisphobe de base, mais que j'en suis un peu tombé amoureux depuis que je me suis rendu compte que c'était un endroit plein d'histoire et de vieilles pierres. Et dans cette optique, je dois vous avouer que voir les Halles s'étaler au pied de Saint-Eustache, ça m'a donné la chair de poule. Et que les différentes images du Paris de l'époque, c'est rien que du bonheur... Même si c'est du bonheur un peu court : si on colle bout à bout toutes les images en question, on ne doit guère avoir plus de dix minutes de film. Tant pis, c'est déjà bien.

N'empêche que j'attends encore qu'un réalisateur fasse pour Paris fin XIXème ce que Coppola a fait pour le New York du XVIIème ou Cameron pour le Titanic : une grande fresque où on raconte une histoire pour faire plaisir aux investisseurs et aux spectateurs, mais qui n'est qu'un prétexte pour montrer un décor et une ambiance. Si quelqu'un peut me faire ça... J'accepterai n'importe quelle histoire qui permette de s'étaler sur quelques siècles : du cimetière des Innocents au XVIIème jusqu'au MontMartre des années folles. Il faudrait peut-être commencer par engager DiCaprio ?

La prochaine fois, je vous parlerai de mon nouveau lecteur SACD.

Mise-à-jour (26 nov.) : Tiré d'un message reçu, et mes réactions :

PS: Si le long dimanche de fiancaillesa la jaunnisse, c'est que le réalisateur Jeunet s'inspirait des photos sépias qui servaient de document d'époque...

Je comprends bien le principe de base. Mais le Nutella, c'est bon aussi, c'est pas pour ça que j'en vide trois pots sur chaque tartine[1].

Si la reconstituition de l'époque a quelque chose de magique, on assiste en effet un peu à "une perfection asphyxiante qui témoigne d’une superficialité de pensée.", comme le décrit Kagansky dans les Inrocks.

Les Inrocks, ils devraient arrêter de s'écouter parler. Et puis je n'ai absolument pas trouvé ça parfait. St-Exupéry disait que la perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer. Jeunet aurait bien fait de l'écouter, parce qu'il y a trop de beaucoup de choses dans son film.

Notes

[1] encore que...

Commentaires

1. Le mercredi 24 novembre 2004, 21:30 par Nonal

Long, guimauve, esthétisant à la petite semaine, et dictant ses émotions au spectateur : un Jeunet, quoi... Tu aurais pu faire l'économie de tous ces désagréments en lisant le bouquin de Japrisot...

Par ailleurs, tu dois être finalement assez mal entouré(1), pour que des gens te conseillent d'aller voir les daubes que tu dis (Amélie Poulain, Matrix, Basic Instinct, Titanic... Que des grosses meringues fourrées aux dollars, à consommer avec du popcorn et un cerveau en veille). Mais qu'à 33 ans révolus, et malgré les milliers de rediffusions télé, tu n'aies jamais vu "Les Bronzés", c'est une sacrée faute de goût... Avec "Mes meilleurs copains", c'est quand même le seul film de sa carrière où Christian Clavier est drôle. Rien que pour ça, ça mérite le détour...

(1) Je cause pas de Zulie, dont mon fils parle encore très régulièrement avec des étoiles dans les yeux. Quand est-ce que vous avez un mariage en Bretagne ou dans les Pays de la Loire ?

2. Le mercredi 24 novembre 2004, 21:47 par xave

Je te rappelle que j'ai partagé ma vie très longtemps avec gars qui voyait sept films hollywoodiens par semaine mais a attendu d'avoir trente ans pour regarder les Tontons flingueurs parce que c'était français et même pas en couleurs. Enfin bon...

Pour le coup de "un Jeunet, quoi", je ne savais pas moi : le seul de ses films que j'avais vu jusque là était Alien IV, c'était pas tout à fait pareil.

Et pour Julie, ben ça fait ça, une Julie, ça fait des étoiles, na !

3. Le jeudi 25 novembre 2004, 01:38 par Nonal

Ouais, c'est ce que je vais expliquer à Noé : Julie fait des étoiles... et toi, tu en es l'alien.

4. Le jeudi 25 novembre 2004, 08:19 par xave

C'est moi, c'est l'Alien, est-ce qu'il y a quelqu'un ? Est-ce qu'il y a quelqu'une ? ...

5. Le mardi 30 novembre 2004, 14:07 par Boucledor

copaing de moi !! bon j'ai pas tout lu car je suis au boulot et que ton post est long, mais le debut m'a fait chaud au coeur !!
je ne suis pas la seule dans ce pays à avoir une culture cinématographique proche du neant !!
moi non plus j'ai pas vu les bronzes, le pere noel est une ordure, les stars wars, les flics de beverly hills, les retour vers le futur... mais j'ai vu amélie poulain, et oui on peut pas vivre sans. prend toi deux heures et op franchement c'est un film que t'en ressort pas pareil apres.

6. Le mardi 30 novembre 2004, 14:23 par Boucledor

bon y a pas trop de violon dans amelie (ou alors j'ai aps remarqué) mais c'est aussi un film jaune... mais franchement, ca lui va à la perfection ^^ on peut pas etre decu d'amelie poulain, a moins d'etre sans coeur je pense...

7. Le mardi 30 novembre 2004, 14:25 par xave

J'ai quand même du mal à me décider, quand on me dit qu'il y a plein de points communs entre les deux et que ce qui m'a plu dans celui là, c'est ce que je sais ne pas retrouver dans l'autre.

En plus bon, Yann Tiersen, c'est sympa, mais après un morceau et demi, je sature.

8. Le mardi 30 novembre 2004, 17:09 par Boucledor

oui mais non, moi aussi 2 morceaux de yann tiersen c'est deja de trop, mais avec le film et les images dessus ca va bien. pour les points communs je ne sais pas je n'ai pas vu un long dim de fianc, mais pour moi il peut difficilement egaler amelie poulain. et puis si tu aimes paris le fabuleux destin t'emmene dans les rues de montmartre et de la gare de l'est. non c'est un film ou tu es triste que ca se finit, tellement il est bien et que t'en voudrais encore. bon je connais des gens qui ont detesté... parce que justement c'est une histoire qui sert à rien, c'est jaune, c'est yann tiersen et des acteurs pas franchement beaux.

9. Le jeudi 26 mai 2005, 23:13 par jérôme Q

le jour où les cons comme toi pourront voler, on ne verra plus le ciel.... essai de t'ouvrir au cinema comme amélie poulain et tu verras un petit moment de bonheur... salut.

10. Le mercredi 1 juin 2005, 12:11 par xave

(Wuaiiis ! Mon premier commentaire d'insulte !)

Mon cher Jérôme, je reconnais bien là le message d'amour et de tolérance distillé par le film. Désolé, mais je continue pour le moment à n'être pas ouvert au cinéma, seulement à Hitchcock, von Trier, Ki-duk Kim, Browning, Chaplin, Gilliam, Kubrick, Coppola (père et fille pour le coup), Cameron (comme quoi je ne suis pas anti grosse machine), Fellini ou autres nuls du même calibre.

Mais dis moi, toi même, as tu déjà vu un vrai film ? Je veux dire : Un qui ne passera jamais à TF1 parce qu'il ne rend pas le cerveau assez disponible pour vendre du soda ...

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