Métaphore

Il fait froid dehors

Brian Wilson : SmiLE

If there is one person that I have to select as a living genius of pop music, I would choose Brian Wilson. Without Pet Sounds, Sgt. Pepper wouldn't have happened... Pepper was an attempt to equal Pet Sounds.
George Martin

There is a new song, too complex to get all of first time around. Brian Wilson, one of today's most important musicians, sings his own 'Surf's Up.' Poetic, beautiful even in its obscurity, ...
Leonard Bernstein

I've just bought my kids each a copy of it for their education in life ... I figure no one is educated musically 'til they've heard that album ...
Paul McCartney

... Jesus, that ear. He should donate it to The Smithsonian.
Bob Dylan

I love Brian. There's not many people I would say that about. I think he's a truly, truly, truly great genius. I love him so much it's just terrible - I find it hard to live with.
Pete Townsend

Pet Sounds became an instant classic when it first appeared. Listening to it today, it is, perhaps, easier to see why it was one of the defining moments of its time, along with the music of the Beatles, Pink Floyd and the Greatful Dead ... its willingness to abandon formula in favor of structural innovation, the introduction of classical elements in the arrangements, production concepts in terms of overall 'sound' which were novel at the time, all these elements give Pet Sounds a freshness that, thirty years later, is immediately there for the listener.
Phillip Glass

couverture de l'abloumeNous sommes au début des années 60. En Angleterre, les Beatles font des tubes avec des chansons adolescentes niaises à propos de filles et de gars qui s'en vont dans la rue deux par deux. Pendant ce temps en Californie, les Beach Boys font des tubes avec des chansons adolescentes niaises à propos de planches de surf et de belles voitures. Ça aurait pu ne jamais changer (à voir les classements aujourd'hui et leur lot de chansons niaises, on a d'ailleurs l'impression que ça n'a jamais changé.)

Mais non, c'était compter sans le coup du sort extraordinaire qui avait donné aux Beatles un producteur ouvert à tout et issu du classique. Du coup, quand ces hirsutes se sont mis à avoir des idées bizarres, il a suivi, là ou n'importe qui d'autre aurait fui à l'époque, et il a même ajouté sa patte : Mmmh, et pourquoi pas du clavecin sur In my life ? Du clavecin sur le la musique pop en 65, pour ceux qui n'aurait pas une vue d'ensemble, c'était aussi incongru que pourrait l'être aujourd'hui Britney Spears chantant le Cosi fan tutte de Mozart.

Or donc, voilà : en 1965, les Beatles sortent Rubber Soul, le premier album où ils commencent à révolutionner la musique (avec du clavecin, donc, entre autres). Vert de jalousie, Brian Wilson, le musicien des Beach Boys écrit, produit et enregistre Pet Sounds, encore considéré comme un des grands chefs d'oeuvre de la musique pop. Tout jaloux dans leur coin, Lennon et McCartney mettent les bouchées doubles et sortent Revolver, qui lui fait faire carrément un bon en avant à la musique pop[1]. À ce moment là, Brian s'échauffe en sortant Good Vibrations, qui met une claque encore plus grande à tout le monde et surtout à toute la profession (rappel : nous sommes en 66, le morceau le plus révolutionaire jamais sorti est Eleanor Rigby, et Good Vibrations marche dessus en termes d'avancée musicale.)

la pochette prévue pour la version des Beach boysUne fois que Good Vibrations est en boite, et pendant que les Beach Boys partent en tournée sans lui, Brian Wilson rentre en studio avec le meilleur de la crème des pointures des requins de studio de l'époque et commence à construire un album de la même façon qu'il a construit Good Vibrations : par petits morceaux de trente secondes partageant des thèmes communs qu'il va ensuite agencer comme un puzzle. Chacun de ces petits bouts enfonce un peu plus loin les limites de ce qui peut être fait en studio... Les quelques chanceux qui ont l'occasion de venir voir comment se passaient les sessions d'enregistrement à l'époque commencent à répandre le bruit à l'extérieur : Brian Wilson est en train de préparer un album qui surpassera tout ce qui est sorti jusqu'alors...

Et puis... Les Beach Boys eux même ont des réticences : qu'est-ce que c'est que ce truc ? C'est zarb, ça se vendra jamais, les textes ne veulent rien dire, on va bientôt être en 1967 : le public préfère les chansons de planches de surf et de belles voitures, pas ces conneries de conscience cosmique, de compréhension universelle ou autres chimères de drogué. La maison de disque pousse au cul. Le librettiste se barre en claquant la porte. La récolte d'herbe et de LSD est bonne cette année là... Bref, Brian Wilson pète complètement les plombs, envoie balader l'album, pourtant terminé à plus de 80% et va s'enfermer chez lui pour jouer dans le bac à sable de son salon pendant les 25 années suivantes.

L'album prévu, Smile, ne verra pas le jour. Du coup, les Beatles auront toute lattitude pour sortir Sgt Pepper et devenir pour l'éternité le groupe qui a révolutionné l'histoire de la musique en faisant entrer la pop dans l'age adulte et convainquant pour la première fois que pop-music et art n'étaient pas antynomiques. Les Beach Boys, eux, sortent Smiley Smile, un pâle copie de ce qu'aurait pu être Smile[2], et qui de toutes façons arrive trop tard : les Beatles ont gagné la course, Brian a pété les plombs, et les Beach Boys sont partis pour trente ans de ringardise.

la pochette de Smiley Smile, remplaçant décevant...Au cours de ces trente années, ils ont essayé de renouer avec le succès en ressortant un par un presque tous les morceaux qu'ils avaient refusé de sortir à l'époque, lesquels morceaux étaient à chaque fois considérés comme les meilleurs des albums sur lesquels ils étaient situés. Les bandes de Smile ont été piratées au delà de l'imaginable, et il existe en pirate des dizaines de versions de l'album, le fait étant facilité par la structure en puzzle de celui ci et la présence pratiquement systématique de multiples prises de chaque pièce et l'interchangeabilité de beaucoup d'entre elles (ce bout là, est-ce que c'est l'intro de telle chanson, ou alors le pont de celle là, ou juste un morceau pas fini de chanson complète ou alors un test qui n'allait pas être utilisé ?) Brian Wilson, complètement drogué, joue dans son bac à sable et est exhibé une fois de temps en temps par les Beach Boys à la recherche de leur gloire passée.

À la fin des années 80, le psychiatre-gourou de Brian Wilson le pousse dans un studio pour qu'il renoue avec la musique, qu'il sorte un album solo, et qu'il le crédite comme producteur éxécutif et co-auteur. Après force batailles juridiques, le psygourou en question n'a plus le droit de l'approcher. Brian est alors soutenu par sa famille et continue à bosser la musique. Au bout de quelques années, il fait la connaissance d'un fan, lui même musicien, qui lui propose de lui prèter son groupe de gros balèzes comme groupe de scène. Ce groupe là sait tout faire : reproduire les harmonies vocales des Beach Boys ou reproduire les arrangements hors du communs que Brian Wilson avait mis en place grâce aux requins de studio de l'époque. Après une première série de concerts en forme de best of, tout ce joli monde monte une tournée Pet Sounds, et joue in-extenso en live l'album du même nom, qu'on a toujours considéré comme une des plus grandes réussites de studio de tous les temps, mais aussi comme quelque chose de complètement injouable sur scène. La tournée est un succès et est saluée comme une réussite par tous les critiques... Après cette tournée, il est temps de chercher quoi faire : le claviériste de Brian Wilson (le fan dont il est question plus haut) amène doucement sur le tapis l'idée de jouer Smile sur scène. Doucement, parce que ça fait 35 ans que Wilson envoye chier tous ceux qui essayent de lui en parler. Sauf que pour une fois, il y réfléchit et finit par se dire "et pourquoi pas ?"

Du coup hop : en février dernier à eu lieu à Londres la première mondiale de la tournée SmiLE 2004, trente huit ans après le pétage de plombs qui a fait de Smile le meilleur album jamais sorti. Et encore une fois, c'est un succès et pas une voix ne s'est élevée pour critiquer la réalisation de la chose. Oh, les fans, qui recompilent depuis 38 ans leurs pirates, ont tous crié d'une seule voix que c'était une mauvaise idée, surtout quand il a été question de sortir une version studio, réenregistrée cette année, de l'album qu'ils attendaient tous : ça ne pouvait pas être aussi bien qu'imaginé, et surtout, le terminer, c'était prendre le risque que tout le monde se rende compte qu'on avait fait trop de bruit, et que le résultat final n'était pas à la hauteur de ce qu'on avait raconté.

Et puis voilà, l'album est sorti, et tout le monde a fermé sa guoule, parce que oui, si ce truc était sorti avant Sgt Pepper, l'histoire de la musique pop n'aurait certainement pas été la même, et les Beatles n'aurait sorti qu'un album cliquant, mais un peu laborieux, génial, mais arrivé trop tard pour vraiment marquer les esprits : Smile serait passé avant et c'est Brian Wilson qui serait monté sur le piédestal.

Alors bon, à écouter maintenant, ça impressionne moins, il s'est passé énormément de choses depuis, mais c'est tellement facile de le remettre dans son contexte (en comparant la version finale et les pirates, on s'apperçoit que la version 2004 est vraiment extraordinairement proche des bandes de l'époque.)

Toujours impressionnant, ceci dit : les textes. Je n'essayerai même pas de décrire, ce n'est pas possible... Ça relève plus de la poésie ou des inventaires à la Prévert que des parôles de rock. Lisez donc un extrait (bonne compréhension de l'anglais exigée !) :

A diamond necklace played the pawn
Hand in hand some drummed along, oh
To a handsome man and baton
A blind class aristocracy
Back through the opera glass you see

The pit and the pendulum drawn
Columnated ruins domino

Canvass the town and brush the backdrop
Are you sleeping?

Hung velvet overtaken me
Dim chandelier awaken me
To a song dissolved in the dawn
The music hall a costly bow
The music all is lost for now
To a muted trumperter swan
Columnated ruins domino

Canvass the town and brush the backdrop
Are you sleeping, Brother John?

Alors voilà, moi, comme un certain nombre[3], ça fait dix jours que je l'écoute en boucle.

La prochaine fois, je vous parlerai de Odessey & Oracle, des Zombies

Notes

[1] si, les gens, ça ne vous dit peut-être rien de là où vous ètes (on a fait tellement de choses depuis,) mais à l'époque, des morceaux comme Eleanor Rigby, Good Day Sunshine, Got to Get You into My Life ou Tomorrow Never Knows, ça ne pouvait pas exister. Surtout Eleanor Rigby, qui a l'air si gentillet vu d'ici, mais qui était à la sortie de l'album une grande claque.

[2] Enregistré en quinze jours, alors que les dix mois de sessions qui viennent de s'écouler ne servent pas.

[3] À ppropos du certain nombre, désolé pour le tir de barrage des citations, mais j'ai fait un sacré écrémage. Vous pouvez en voir beaucoup plus là : http://www.brianwilson.com/brian/qu...

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Commentaires

1. Par Normal le Chacal, le 15/10/2004 à 00:15

Il l'a fait ! Il a recyclé un mail qui m'était destiné pour moi tout seul en dito de son site ! Vendu !

Tiens, puisqu'on en est là, à moi de rendre public un message privé :

"Mon Xave,

t'oublieras pas de sortir les poubelles ce soir, ni de prendre des pépitos et du PQ chez Monsieur Delhaize en rentrant du boulot. Laisse-moi 1 euro pour le pain, hier j'ai été obligé de demander un crédit au boulanger. Ne rentre pas trop tard, et ne te fatigue pas trop les yeux sur ces écrans qui finront par te rendre aveugle. Dans l'attente, veuillez recevoir, Monsieur, l'expression de mes meilleures salutation".

Nonal

2. Par emerson, le 15/11/2007 à 21:32

superbe histoire bigremen bien raconter par toi mec ;) chapeau bas l'artiste ^^ et bonne continuation

3. Par gilda, le 03/09/2008 à 13:27

J'aime beaucoup "le meilleur album jamais sorti'. Tu racontes très très bien la maison de disque et les beaux surfers qui étouffent l'innovation, et la bonne récolte et ce qu'il en suivit.
Merci

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