la gestion raisonnée du plaisir
J'ai une histoire à vous raconter. Je l'avais dans ma besace depuis un bout de temps, mais une enchianteresse m'a donné la pichenette qui me manquait pour commencer à en faire des mots. Attention, c'est une histoire vraie.
Prenons un garçon que nous appellerons Eusèbe, faute de mieux. Eusèbe est né dans une famille modeste, mais dure à la tâche. Ses parents lui ont enseigné les vraies valeurs et lui ont fait comprendre que le bonheur de sa vie future ne tenait qu'à lui. Eusèbe a bien compris et est devenu un élève modèle. Il ne jouait guère au ballon avec les copains, mais il était toujours dans les premiers de sa classe. À l'adolescence, il n'a guère perdu de temps à tourner autour des filles : il était un des meilleurs de sa classe. Arrivé au lycée, plutôt que d'aller fumer des pétards et se bourrer la gueule avec ses copains, il travaillait chez lui. Parce qu'il n'était pas un de ces élèves brillants sans le faire exprès : c'était un sacerdoce de chaque instant que de se maintenir parmi les meilleurs, il n'avait pas de temps à perdre en futilités, il s'occupait à se préparer une belle vie.
Parce qu'il avait décidé depuis longtemps de ce qu'il allait devenir : Comme dans les plus beaux rêves de ses parents, il serait médecin. Ça a représenté beaucoup de travail, beaucoup de sacrifices sociaux, de sacrifices financiers aussi, la moitié de sa scolarité a été axée vers ce but : devenir médecin. S'assurer une vie hors du besoin, une position enviable, qui en plus allait lui permettre de rattraper son retard abyssal en filles.
Le jour où il a eu tous ses diplômes, ça a été une fête dans la famille. Lui même avait du mal à imaginer ce qui l'attendait, il n'avait jamais rien fait d'autre jusque là que de bûcher dans l'attente de ce moment là, la délivrance allait enfin arriver, la vie allait enfin pouvoir commencer. Bon, il restait encore le service militaire (oui, ça date, mon histoire) mais même ça, c'était déjà presque une détente.
Eusèbe est mort d'un accident de la circulation pendant son service militaire.
...
Vous savez quoi ? C'est exactement ce que je ne supporte pas. Se priver maintenant pour avoir mieux demain, c'est bien, c'est raisonnable. J'en ai rien à foutre du raisonnable. Comment est-ce qu'on peut savoir que le plaisir qu'on met gentiment de côté, on va réellement pouvoir en profiter demain ? Si ça se trouve, demain, il sera périmé, on aura autre chose à faire, il fera double emploi ou on aura commencé à se décomposer au fond d'un trou.
Je ne supporte pas la gestion raisonnée du plaisir, c'est physique, ça me file des boutons. Vous avez envie de la plaque de chocolat ? Bouffez la plaque de chocolat ! Comment pouvez vous être sûr que demain elle sera encore bonne ? Ah bien sûr, si vous n'aimez le plaisir que par petites doses, faites à votre guise, mais avoir envie de quelque chose et se le refuser parce que ce n'est pas raisonnable, ça me donne envie de cogner à coups de manche de pelle.
Alors on se couche à onze heures, pour ne pas être fatigué au boulot, et on ne sort pas en semaine (ah c'est sûr, c'est tellement plus important d'être efficace au boulot que d'être avec les gens qu'on aime.) On garde le chocolat qu'on voulait manger pour en avoir encore demain. On ne part pas sur un coup de tête dans les îles anglo-normandes parce que l'argent sera mieux employé lors de prochaines vacances huit mois après. Tiens, on remet le voyage en Italie en amoureux à plus tard, il sera toujours bien temps. Et puis quoi ? On fait l'amour le samedi, parce qu'un autre jour, ça ne serait pas raisonnable ?
Je veux faire l'amour toute la nuit, pas vingt minutes le dimanche matin. Je veux partir où je veux, quand je veux, et de préférence maintenant. Je veux baffrer ma plaque de chocolat en entier, tout de suite. Je veux sourire en ayant la gueule dans le cul au boulot parce que je me suis couché à une heure totalement idiote, juste parce que je ne réussissais pas à quitter les copains. Je veux m'offrir le plaisir d'être idiot dans les vapeurs de l'alcool. Je veux mettre mon poing dans la gueule au premier à qui je dirai Hé, si on se faisait plaisir
et qui me répondra Ce n'est pas raisonnable.
Raisonnable mon cul.
Carpe diem, merde. Profitez d'aujourd'hui. AU-JOUR-D'HUI !
Publié le 09/10/08, dans la rubrique pensées irréfléchies.
(lire d'autres billets sur : Enchianteresse ligne de vie )
Commentaires
1. Par Kalamity Hell, le 09/10/2008 à 09:34
2. Par Mitternacht, le 09/10/2008 à 09:49
3. Par Kozlika, le 09/10/2008 à 10:36
4. Par gilda, le 09/10/2008 à 11:55
5. Par Mitternacht, le 09/10/2008 à 13:57
6. Par Simon H., le 09/10/2008 à 14:40
7. Par mirovinben, le 09/10/2008 à 16:34
8. Par Notre Conscience, le 09/10/2008 à 19:17
9. Par xave, le 09/10/2008 à 19:42
10. Par xave, le 09/10/2008 à 19:43
11. Par Notre Conscience, le 09/10/2008 à 19:50
12. Par xave, le 09/10/2008 à 19:53
13. Par LeChieur, le 09/10/2008 à 22:11
14. Par Lomalarch, le 09/10/2008 à 23:25
15. Par El, le 09/10/2008 à 23:56
16. Par gilda, le 10/10/2008 à 00:10
17. Par xave, le 10/10/2008 à 00:22
18. Par presque toujours déraisonnable, le 10/10/2008 à 11:53
19. Par Tristan, le 12/10/2008 à 05:57