Métaphore

Je suis administrateur système. Ce n’est pas sale en soi, j’ai juste la charge d’un paquet de serveurs, d’un ou deux milliers de comptes utilisateurs et de quelques péta-octets de données partagées. La particularité de mon job, c’est que nous avons les moyens : si nous avons besoin d’une solution matérielle ou logicielle particulière, nous pouvons l’acheter. Ça plus quelques choix architecturaux de base, et nous voilà un cas d’école : 100% Microsoft. Si une solution Microsoft existe, c’est celle que nous choisissons.

Entendons nous bien, je n’ai aucune prise sur ces choix. Je sais l’un ou l’autre domaine où nous employons une solution payante alors qu’il en existe une libre et au moins aussi performante, mais le libre, c’est souvent gratuit, donc ça doit être de mauvaise qualité (je cite, hein ? Ne me frappez pas.)

Bon, il se trouve que je ne suis pas totalement mauvais pour gérer des systèmes Microsoft. Je suis arrivé ici il y a quelques années, sans aucune autre qualification que d’avoir un ordinateur à la maison, pour changer des toners d’imprimantes, et parce que je n’étais pas totalement incompétent, je me suis retrouvé sysadmin, malgré le cloisonnement normalement imperméable d’une équipe à l’autre.

Mais je ne suis pas à ma place : je n’ai pas du tout été formé pour ça, j’ai complètement raté toutes mes tentatives d’études, et mon plus gros diplôme reste le bac, que je n’ai eu qu’à la troisième tentative^[1]. J’ai donc toujours été regardé de façon un peu bizarre, surtout par les chefs.

Oh, il y avait bien une solution pour remonter dans l’estime de la hiérarchie : passer des examens Microsoft. Si, si, ça existe. Sauf que ce n’est reconnu nulle part, sauf par les éventuels employeurs. Sauf surtout que ce n’est pas évident, surtout quand on a appris sur le tas, j’ai tout sauf la mentalité Microsoft (D’ailleurs, dans mon job, je suis l’habituel préposé aux problèmes bizarres. Si ça ne ressemble à rien de connu, on file ça à xave.)

Du coup, ça aurait été bien de passer les exams, mais :

1. Les examens en question sont payants. Cher.
2. Ma boite paie les exams … si on les réussit.
3. Aller au feu sans être préparé est une garantie d’échec.
4. N’ayant jamais eu de formation, je ne pouvais savoir à quoi m’attendre.

Bref : j’avais le droit d’aller passer un exam, mais dans des conditions telles que j’étais sûr de le rater, et donc de payer. Cher.

Jusqu’à la semaine dernière, où mes collègues et moi recevons un message de notre boite pour nous dire qu’ils avaient par hasard retrouvé des bons pour des exams, mais qu’ils allaient bientôt être périmés, et que du coup nous avions le droit de les utiliser et même de ne pas payer en cas d’échec ! Ouha ! Et donc la seule condition, c’est de les utiliser avant une certaine date ? Cool. C’est quoi la date ?

La fin du mois. Une semaine.

Pour vous donner une idée, il y a des sites pour préparer à ces exams où on propose en cours progressif en quinze semaines. Pas la peine de vous dire qu’une seule semaine pour se préparer est un peu court. Mais ce n’est pas si grave : je ne l’aurai pas, mais au moins, j’aurai passé un examen de ce type. Du coup, je ne me jetterai pas dans le vide quand je les passerai sérieusement, je saurai à quoi m’attendre.

Fort de ce point de vue, j’ai choisi un des exams les plus costauds^[2] et je me suis apprêté à passer quelques jours à réviser les bases. Ce que je n’ai pas fait d’ailleurs : le lendemain, sur un coup de tête, je partais retrouver Julie à Paris, et j’avais autre chose à faire, et ça a continué tout le week-end.

Je suis donc arrivé ce matin en complet dilettante, en me disant qu’il n’y a pas meilleure chose pour le moral que de savoir avant de passer un examen de certification qu’on va le rater et que ça n’a aucune importance. J’avais pris des stocks pour me sustenter, puisque la durée de l’épreuve était de quatre heures, plus une demi-heure de rab puisque je passais l’examen en anglais (il faut être fou pour étudier Microsoft en français. Vous savez ce que c’est que la ruche, vous ?) Réserves que je n’avais pas encore entamées quand après une heure et demie j’arrivais au bout de la première série de question. Tout content, je clique sur le bouton pour paser à la suite …

Je vois un sablier, la machine mouline un instant… Et m’affiche Congratulations, you passed. Hein ? Elle est où la suite ? Je vais voir les responsables pour leur demander : ben non, c’est fini, vous l’avez. Hein derechef ?

Bon, ben foin de mes inquiétudes, il semblerait qu’effectivement, ça soit terminé, et que oui, je l’ai eu. Pour citer Cartman : Ça me troue le cul ! Bon, ce n’est qu’une certification, il en faut sept pour avoir le super diplôme, mais je ne pensais vraiment pas y arriver comme ça sans préparation (Honnêtement, je ne suis pas non plus un génie extraordinaire. L’examen comporte un certain nombre d’ateliers pratiques et c’est quand même mon métier.) Comme me le disait un gars du centre de certification : Ah quand même, 1H30 pour avoir le 70-290 ? Bon ben vous passez les six autres la semaine prochaine alors ? Non, quand même pas. Maintenant, pour les autres, je vais bosser, mais plus dans le vide, je sais à quel genre d’épreuve m’attendre.

Le seul problème maintenant, c’est que moi, grand utilisateur de logiciels libres (je n’utilise même plus Windows à titre personnel,) je suis maintenant un traître à la cause : Me voilà promu Microsoft Certified Professional. Je me sens sale.