Métaphore

Il fait froid dehors

侘寂

Au Japon, la rouille et la décrépitude sont omniprésentes, et ce n'est pas grave, ça fait partie de la vie. Les choses sont faites pour être, mais pas forcément pour rester. L'impermanence fait partie de l'existence et ce n'est pas forcément facile à assimiler pour moi qui ai tant de mal à laisser partir les choses. Il y a tout un concept derrière cette acceptation que tout n'est que de passage. En fait, non, il y a plein de concepts derrière, ça a à voir avec le bouddhisme, ça a à voir avec le zen, ou les concepts de mono no aware ou de wabi-sabi.

Rust & decay

Dans le wabi-sabi par exemple, il y a cette notion de la beauté dans l'imperfection. Ça m'avait déjà touché la première fois, alors que j'étais loin de ça à l'époque. Mais dans un petit magasin, alors que d'autre Français autour de moi achetaient de la faïence ou de la porcelaine bien proprettes, j'avais été complètement séduit par des bols qui avaient l'air de n'être pas totalement finis, où on sentait encore la glaise et dont la décoration très simple portait la trace du geste qui avait permis de la dessiner (un peu comme l'enso, ce cercle que vous pouvez voir actuellement en pied de page.) Assez séduit pour traverser la moitié du Japon, puis la moitié du monde en me faisant chier à trimballer une petite collection de poterie.

Me voilà six ans plus tard et ces concepts de simplicité, de non perfection et d'acceptation de l'éphémérité[1] des choses ont maintenant une nette tendance à entrer en résonance avec mon cheminement de ces dernières années. Il y a derrière ça une esthétique et une façon d'appréhender le monde qui me touchent beaucoup, et que je ne désespère pas d'atteindre un jour.

En attendant, ce qui n'était pas éphémère, c'était le petit magasin de poterie, que j'ai retrouvé, et où j'ai acheté des pièces assorties à celles que j'avais déjà ramenées à l'époque. Puisque je sais qu'un jour tout ça cassera.

(photo : Rust & decay, entre autres scènes de rue...)

Note

[1] Si, si, ça existe. Ça sonne bizarre, hein ?

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Commentaires

1. Par Emma, le 20/04/2012 à 09:32

Moi aussi, le was-abi m'aide à faire passer un lit de sushi.
(Si, il fallait que quelqu'un la fasse)

Plus sérieusement, aux yeux de la philosophie existentielle japonaise, est-ce vraiment accepter si on influence son comportement "en prévision" (sic) de l'éphémérité des choses ? (Je pense à ta dernière phrase, par exemple. Ce "en prévision" marque justement la contradiction avec l'acceptation de quelque chose qui est déjà...)
C'est une véritable question !

2. Par Emma, le 20/04/2012 à 09:35

Et ce billet est superbe et émouvant.

3. Par xave, le 20/04/2012 à 09:47

Alors surtout, un truc important : il n'y a aucune volonté de ma part de suivre telle ou telle philosophie autre celle que je développe petit à petit, qui m'est toute personnelle et inadéquate pour quiconque n'est pas moi. Ta question m'arrange parce qu'elle me permet de préciser cela, et de bien insister sur le fait que je ne suis pas dans une recherche new age d'une philosophie qui pourrait me convenir, mais qu'il s'agit vraiment d'éprouver des résonances entre quelque-chose qui m'est unique et des visions du monde affinées sur des siècles dans des cultures qui ne sont pas la mienne.

Donc est-ce vraiment accepter ? Je n'en sais rien, sans doute pas. Mais j'ai encore un long chemin devant moi. En même temps, ça ne me semble pas en contradiction directe ; après tout, je n'ai pas acheté de quoi remplacer ce qui va un jour casser, mais de nouvelles pièces dont je peux profiter tant qu'elles sont là. Et notons que ces pièces ont une valeur supplémentaire pour moi, celle d'avoir joué un rôle important dans ma découverte de la beauté imparfaite.

4. Par Emma, le 20/04/2012 à 11:36

après tout, je n'ai pas acheté de quoi remplacer ce qui va un jour casser, mais de nouvelles pièces dont je peux profiter tant qu'elles sont là.
Oué, j'avais bien noté. Mais tu as aussi écrit "puisque" ; voilà pourquoi ma question :-)

(Et je ne pensais pas que tu "suivais" telle ou telle philosophie, mais bien que tu t'interrogeais sur ton propre parcours : ton billet est très clair. Dans mon commentaire, je voulais dire qu'accepter la disparition/l'éphémérité des choses, c'est un peu quantique : la chose est bien là et on peut en jouir, mais elle est aussi partie au même instant. Cette coexistence semble paradoxale pour nous, occidentaux, qui fonctionnons avec des contraires. Mais on peut aussi voir la situation comme un antagonisme : les deux états sont certes toujours opposés, mais cette fois, complémentaires. Personnellement, cette idée me guide vers des comportements plus "justes", plus "intégrés".)

5. Par xave, le 20/04/2012 à 11:44

Ah oui tiens, je m'aperçois du coup qu'on retombe sur un truc qui me poursuit depuis une certaine Saint-Valentin, il y a des années : je suis mort. Et ça me permet de profiter beaucoup plus du fait qu'en même temps, je suis vivant.

6. Par Emma, le 20/04/2012 à 12:02

je suis mort. Et ça me permet de profiter beaucoup plus du fait qu'en même temps, je suis vivant.

Hi hi, t'es sûr que c'est une acceptation, ça ? :-D C'est pas tout à fait pareil que de penser "l'existence, c'est la vie et la mort", je trouve :-)

7. Par xave, le 20/04/2012 à 13:48

Hé, la chose est bien là et on peut en jouir, mais elle est aussi partie au même instant, c'est pas moi qui l'ai écrit, hein ?

8. Par Emma, le 20/04/2012 à 15:19

Ce qui me fait dire que ce n'est pas une acceptation, c'est le fait de s'appuyer sur le négatif pour jouir "encore plus" du positif. Ça signifie qu'il y a quelque chose à rattraper, une perte potentielle à combler, tant qu'on le peut. En caricaturant à gros traits, je dirais que c'est un truc de survivant, pas de vivant...

Je pense qu'on peut avoir les deux idées au même instant sans que ça n'influence notre comportement vers un déséquilibre — dans un sens ou dans l'autre —, mais au contraire vers une synthèse. C'est un peu comme une dissert existentielle : 1) Thèse - "je suis" ; 2) Antithèse : "je ne suis plus" ; 3) Synthèse (pas prôner le gris après avoir défendu le noir et blanc, mais trouver la véritable question) — un truc comme "Je sais que je ne suis plus me permet de savoir qui je suis"
(je ne sais pas si c'est très clair... :-D )

9. Par Emma, le 20/04/2012 à 15:35

(Précision : les termes "positif" et "négatif" ne sont pas dans mon esprit des jugements de valeur, mais une sorte de traduction "algébrique" de la présence et de l'absence.)

10. Par xave, le 20/04/2012 à 15:40

Nan, c'est pas très clair. Mais si je puis me permettre, le truc de survivant, ce n'est pas une histoire d'opposition, c'est une histoire de complétude : je ne m'appuie pas sur le négatif, j'ai juste une vision plus large d'être conscient en même temps du positif et du négatif.

(J'admets ceci dit m'être beaucoup plus "appuyé" dans le temps, mais certains concepts mettent des années à être intégrés, et ne le sont sans doute jamais totalement.)

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