Souvenirs d'enfance
Par pensées irréfléchies - Lien permanent
J'ai un déficit en souvenirs d'enfance, et ça n'a même pas été évident de m'en rendre compte. Un jour, il y a une douzaine d'années, mon amoureuse de l'époque m'a demandé des précisions sur certains comportements que j'avais eu petit et que ma mère lui avait racontés. Il s'agissait de comportements tout sauf anectodiques ou triviaux, et pourtant, je n'en avais pas le moindre souvenir.
C'est à partir de cette discussion que j'ai commencé à réfléchir à ce problème là. Il m'a fallu plusieurs années (bon, j'ai été distrait entre temps) pour que la conclusion s'impose à moi : je n'avais pas de souvenirs d'enfance. Ce qui m'avait empêché de m'en rendre compte jusque là était une imitation : oui, je me souvenais d'images de quand j'étais petit, je n'avais juste jamais remarqué qu'il s'agissait presque toujours de photos que j'avais vues ou revues plus tard. Mes souvenirs d'enfance étaient des photos revues à l'adolescence. En fouillant, mes premiers vrais souvenirs semblaient remonter à mes onze ou douze ans.
Non, ce n'est pas vrai : j'ai un souvenir plus ancien très net : un cauchemar. Un rêve ou je me levais avant tout le monde le matin de Noël. J'allais au toilettes avant d'aller voir mes cadeaux, mais au lieu d'un comportement normal de la chasse d'eau, l'eau était aspirée brutalement dans un gargouillis affreux. Ensuite, une fois arrivé près du sapin, je voyais la couverture écossaise à franges sur laquelle il était posé, histoire d'en recueillir les épines, tenter de ramper vers moi, retenue seulement par le poids du conifère en question.
Voilà, c'est mon premier souvenir net.
Il y a deux ou trois ans, j'ai commencé à me rendre compte que j'avais parfois des flashs : l'un ou l'autre stimulus rappelait brutalement une image. Jusqu'à présent, ce n'est jamais rien d'autre qu'une image, accompagnée toujours d'une sensation, mais je me dis que si j'en retrouve suffisamment, je pourrais peut-être me faire une idée générale du puzzle.
Évidemment, mes chers psys, c'est vers vous que je vais me tourner pour ressortir les images en questions, car il faut que je les note, si je ne veux les oublier.
Cette réflexion m'est venue récemment, en lisant une page web traitant de la série des Big Jim de Mattell, je me demandais ce qu'ils étaient devenus. En voyant cette page, je suis tombe sur la photo d'un des personnages de la série, nommé Big Jeff. Je suis tombé en arrêt : j'ai eu ce truc. Je me suis revu dans le jardin de ma mère en train de jouer avec lui et un mannequin d'Actarus. De penser à ce second mannequin, je me suis revu en vacances dans les alpes, beaucoup plus petit. J'avais des petites voitures dont une, métallique, aux couleurs de la police allemande. Le lait dans le café du matin sortait directement de la vache et avait énormément de goût. Au mur, il y avait un calendrier publicitaire pour une chaîne de restaurants, en BD, avec des animaux anthropomorphes. Étant obligé d'aller manger ailleurs que dans son restaurant préféré, un coq troubadour y chantait Ce plat pourriiiii qui est le mieeeeeen....
La maison était un vieux chalet sans eau courante, il fallait utiliser la fontaine qui arrivait sur le balcon de devant. Les toilettes, c'était une cabane à l'autre bout du balcon, un trou donnait sur un énorme tonneau posé sur le sol, à l'extérieur.
Rien ne bouge dans ces souvenirs, il s'agit d'une suite d'images fixes. Fixe aussi cette image d'une véranda dans laquelle je suis en train de lire des albums du scrameustache, les seuls que j'ai jamais lus, à l'occasion de la fête d'anniversaire de mon meilleur copain de ... ce1 ? ce2 ? Il s'appelait Fabrice, et ça m'est revenu ce week-end lors d'une conversation avec Julie, alors que nous évoquions les Fabrice que nous avons connus.
À deux rues de là, rue de Caudry, quelques années plus tard, j'allais ramener chez ses maîtres un labrador que j'avais trouvé errant. C'est pourtant vrai qu'un souvenir en appelle un autre.
Dernier de la série : samedi, chez des amis, nous avons bu des kirs bretons, j'ai senti la liqueur de cassis : il y en avait chez mes grands-parents maternels, j'en suis sûr.
Ne soyez pas surpris si d'autres souvenirs sans intérêt viennent prendre de la place ici.
Commentaires
Curieux que la mémoire tout de même, les souvenirs sont là, mais si on ne trouve pas le(s) bout(s) du(des) fil(s) on n'arrive à les faire ressortir !
Bon j'ai une assiette en plastique avec une cane et ses canetons et avec un coquetier intégré qui m'attend quelque part sous mon crâne …
Si tu as cinq minutes (ou cinq heures, ou cinq jours), tu devrais essayer de jouer à ce jeu. Au début, on se tortille sur sa chaise, on suçote son stylo, on tire la langue... Mais plus on avance, et plus ça revient. Et le résultat (je parle du résultat "intime", ce qu'il y a entre deux "je me souviens", et qu'on n'écrit pas) est vraiment étonnant.
c'est génial cet exercice ! ça rapelle tellement de souvenirs !! c'est extra, et franchement, le tien, Monsieur LeChieur, est particulièrement tordant, j'en prends note ;-)
Je découvre ce carnet (pas blog, donc) et j'apprécie - j'étais bien venu déjà auparavant, mais n'avais pas été foutu de trouver des articles... pfff....
Marrant, j'ai tendance à avoir le même symptôme, si l'on peut dire...
Je me tenterais bien un coup de "je me souviens", oui vraiment, merci pour la suggestion cher LeChieur.
Les souvenirs reviennent souvent au détour d'un parfum, d'un goût, d'une sensation... car ce sont les représentations qui ont été refoulées et non les affects. On peut avoir oublié s'être brûlé avec le fer à repasser que maman avait négligemment laissé au bord de la table, mais chaque brûlure au fer va instantanément nous renvoyer à ce souvenir douloureux, inscrit dans notre corps. Chacun a sa Madeleine de Proust...