Métaphore

Il fait froid dehors

Félix

Dans le temps, pas loin de chez moi, il y avait un coulonneux. Pour les estrangers qui ne connaîtraient pas : un coulonneux est un éleveur de coulons, de pigeons quoi... J'ai toujours eu un sentiment partagé pour ces gens là : il y avait dans la famille un grand oncle qui l'était, et qui était très sympathique. Remarquez, je connais aussi un chasseur que j'aime beaucoup, il y a toujours des cas particuliers.

Parce qu'en réalité non, je n'aime pas les coulonneux. Pour une raison très simple : l'ennemi du coulonneux est le chat, or le chat est mon ami. Et un des passe-temps du coulonneux qui se respecte est de tuer les chats qui s'approchent trop près de ses ouailles. Des années après, je me souviens encore du jour d'été où je rentrais chez moi d'une humeur toute estivale, et où j'ai retrouvé Spirou, un chat comme on n'en fait plus, mon chat, écrasé derrière chez lui. Vous n'imaginez pas combien de fois j'ai rêvé de ressortir ma vieille carabine à plombs qui n'avait jamais visé que des playmobils pour aller venger mon chat sur ses pigeons.

une photo de Félix, aussi en forme que quinze ans avant, c'était il y a un an.Je ne l'ai bien sûr jamais fait. Aussi con que soit un pigeon, je serai bien incapable de tirer sur une bestiole... Mais quel bonheur quand ce gros con a enfin déménagé, d'autant que l'espérance de vie des chats du quartier a soudain grimpé en flèche. On a enfin vu des chats dépasser les deux ans...

Et comme de par chez moi, on a toujours trouvé qu'un chat, ça améliorait grandement le cadre de vie, on a accueilli le petit frère de Spirou, un qui avait un nez de boxeur, et on l'a appelé Félix. C'est bateau, hein, pour un chat ? Mais on s'y est vite habitué. Et puis c'est quand même difficile de ne pas s'habituer à une petite boule de poil à peine sevrée qui vient s'endormir dans votre main... Officiellement, on a dit que c'était le chat de ma sœur, parce que c'était elle qui l'avait voulu le plus fort, mais c'est toute la famille qui l'a adopté.

Il n'a pas eu la vie facile dans les premiers temps : la boule de poils était tellement mignonne que nous ne voulions pas la lâcher et il s'est vite retrouvé victime de jeux à la con. C'est idiot, mais c'est tellement trognon de voir un chaton se demander ce qui lui arrive quand il se retrouve avec un bandage autour de la tête ou des pattes. Rien qui soit vraiment douloureux bien sûr, on ne fait pas mal à un petit chat.

D'ailleurs, il s'est assez vite senti à l'aise : ce sont les chats qui font confiance aux gens qui présentent spontanément leur ventre pour qu'on les caresse. Celui là s'est même assez vite retrouvé avec une position favorite assez étrange : étiré de tout son long sur le dos, une main pour le soutenir sous les reins, une autre dans le dos. Je n'ai jamais réussi à faire tenir un autre chat dans cette position plus de trois secondes. Il a été aussi dénommé "le chat qui coule", à cause de la façon qu'il avait de se détendre tellement lorsqu'on le prenait dans ses bras qu'il finissait par couler par en dessous si on ne le serrait pas assez fort.

Bien sûr, il n'a pas été question de le lâcher, et encore moins de l'abandonner pour les vacances. C'est comme ça que tout petit il est parti en camping avec nous, entouré de suffisamment d'attentions pour bien vivre son séjour dans les dunes et ne pas s'y perdre. Et puis il y a eu la petite maison dans le sud, et là aussi on l'a emmené. Tout effrayé par ce nouveau décor qu'il était... Il a mis trois jour avant d'oser sortir le nez sur la terrasse, et tout autant avant d'oser se rapprocher de la garrigue derrière, et de nous faire une grand peur en disparaissant pendant trois jours avant de revenir comme si de rien n'était.

Vaillant, le compère a toujours fait son boulot de chat : derrière la maison, il y a des champs, un terrain de chasse idéal. On ne compte plus les souris, les rats, les oiseaux, voire les taupes et les lapins qu'il nous a ramenés. Sale bête, va ! Mais bon, après tout, c'est son travail de chat, il s'en est toujours bien acquitté. Et qui devait ramasser après ?

Ce sagouin m'a fait une ou deux charmantes surprises aussi : la première fois que je l'ai emmené chez le véto, c'était pour le faire castrer. Je devais l'emmener le matin tôt, avant d'aller en cours. Affolé par les bruits de la circulation, il n'a rien trouvé de mieux que de me pisser dessus sa dernière urine odoriférante de vraie mâle, me laissant passer la journée dans des fringues de rechange trouées de fortune avec les fringues normales en train de puer dans un sac plastique. Je m'en suis bien souvenu la dernière fois que je l'ai emmené chez le veto et qu'il a pissé dans ma voiture. Ce n'était pas la première fois d'ailleurs, parce qu'il n'a jamais aimé être trimballé. L'année où j'avais essayé de le prendre à Bruxelles pendant que ma mère était en vacances, il a plutôt souffert. Je l'ai même surpris à faire une tentative de suicide par pendaison dans ma voiture : je l'y avais laissé en liberté (je n'aime pas les cages) mais je l'avais quand même attaché à une laisse au cas où. Il a réussi à faire trois fois le tour de l'appui tête arrière avant de se retrouver pendant dans mon dos par la laisse devenue trop courte. Il a eu de la chance que je m'inquiète de son silence cette fois là, parce que j'avais encore 80 bornes d'autoroute devant moi avant de m'arrêter normalement.

Il n'a pas été le seul seul chat du quartier à dépasser les deux ans : quand il est arrivé, les voisins avaient un gros matou pas commode qui répondait (assez peu) au nom de O'Malley. La peur des débuts, c'était évidemment que ce matal malcommode était sévèrement plus costaud que la petite boule de poils qui venait de débarquer sur son territoire. Inquiétude inutile : le vieux a pris le gamin sous sa patte, et pendant des années, c'était extraordinaire de les regarder tous les deux bronzer à trente centimètres l'un de l'autre, mimer des combats sanglants qui se déroulait silencieusement en moins de trente secondes avant qu'ils ne se recouchent comme si rien ne s'était passé. Ou voir le plus vieux regarder les plus jeune en découdre avec un intrus en ne se relevant avec bonhomie que si son protégé était en difficulté... Une complicité qui ne s'est arrêtée qu'avec la disparition du vieux Maley.

Malheureusement, depuis que son vieux copain est parti, il n'a plus jamais été vraiment le même, à partir de ce moment, on a eu l'impression qu'il lui manquait quelque chose. Ce n'est pas l'arrivée d'une nouvelle chatte chez nous qui a arrangé ça. Elle l'a toujours plus ou moins suivi et voulu faire ce que lui faisait, mais lui est resté d'un naturel plutôt solitaire et ses plus grandes conversations avec sa nouvelle colocataire n'ont jamais été plus loin que quelques feulements. Après des années de cohabitation, on n'a jamais considéré comme facile d'en avoir un dans chaque bras.

Le portrait ne serait pas complet sans dire que pendant très longtemps, et sans que nous soyons d'accord, les gens nous ont parlé de notre gros chat. Il n'a jamais été obèse, même s'il a eu des période où on ne pouvait cacher qu'il était bien nourri, surtout à l'époque de O'Malley, dont il pillait régulièrement l'assiette avant de venir réclamer sa pitance chez nous, non sans passer chez l'autre voisin qui lui laissait toujours des restes dans son jardin. Parce qu'il faut bien le nourrir : on me raconte qu'un chat, ça s'auto-régule au niveau de la nourriture. Ouais, ben pas le mien : il a toujours enchaîné le vidage de son écuelle par des réclamations pour qu'on la remplisse.

C'est le voisin dont je viens de parler qui s'en est occupé ces derniers temps en cas d'absence de ma mère. J'ai bien essayé de le prendre chez moi à une époque, mais il tournait en rond en essayant de sortir (on ne fait pas rentrer un vieux chat des champs dans un appartement), j'ai aussi été jusqu'à passer un mois d'août entier à faire l'aller-retour Lille Bruxelles tous les jours pour pouvoir m'en occuper, mais ce n'est pas toujours évident. Merci donc au voisin providentiel.

Seulement, la question s'est posée avec encore plus d'acuité cette année, parce que le voisin en question n'est plus là, et il n'est plus question de promener notre pépère à droite ou à gauche : il est arrivé à un age où on est un peu fatigué et où on aime ses habitudes. Ça fait quelque temps qu'il est fatigué, qu'il ne bondit plus très bien et qu'il n'a plus guère que la peau sur les os. Pas le moment de le laisser tomber. Aussi avant de partir en vacances, ma mère s'est arrangé avec mon frère pour qu'il le prenne en pension dans sa petite maison avec jardin. Mais elle m'a appelé juste avant de partir pour me prévenir que quand j'allais rentrer le soir il fallait que j'en prenne soin, parce qu'elle avait de plus en plus l'impression qu'elle n'allait pas le retrouver à se retour.

Quand je suis rentré le soir, il était là à m'attendre. Je l'ai nourri, mais il n'a presque pas touché à sa gamelle, à peine s'il en a léché le contenu pendant que je le caressais. En le regardant se déplacer précautionneusement et s'allonger avec peine, j'ai compris que ma mère ne le reverrait effectivement sans doute pas. Et ça m'a fendu le cœur de repartir pour Bruxelles ce matin en le laissant attendre que mon frère vienne le chercher.

Ma sœur m'a appelé tout à l'heure pour me dire ce que j'avais refusé de voir : il ne va sans doute pas attendre la fin de la semaine que je revienne le voir... En ce moment, il doit être en train de dormir ce qui sera peut-être bien sa dernière nuit, et moi qui vais bientôt avoir trente trois ans, j'ai tapé tout ça en chialant comme un môme en pensant à mon chabruti, mon chaton mignon qui accompagne ma vie depuis que j'en ai quinze.

Et je n'ai pas envie qu'il s'en aille.

maj (mardi) :

Je suis rentré sur Lille, demain c'est moi qui l'emmène chez le vétérinaire. Je n'ai vraiment pas envie de le faire, mais j'ai encore moins envie de regretter de ne pas l'avoir fait. Mais merde, c'est pas facile de le regarder comme je l'ai toujours regardé, sauf qu'aujourd'hui je sais que demain il sera mort.

maj (mercredi) :

Il était temps, ils trouvaient le temps long : Félix et O'Malley se sont enfin retrouvés.

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