Earthly heaven
All the pieces fall into place
When we walk these fields
And I reach out to touch your face
This earthly heaven is enough for me
David Gilmour
Je l’ai dit : le spectre autistique, c’est (roulements de tambour) un spectre. Du coup, les contours sont flous et le diagnostic est moins facile que pour, mettons, une grossesse au huitième mois. Pour y arriver, il faut s’entourer des bons interlocuteurs, ce qui n’est pas évident pour plusieurs raisons.
Mais rembobinons jusqu’en 2009 : en bons internautes, avec les petits camarades, nous nous échangeons des liens trouvés à droite ou à gauche. Un jour passe parmi ceux-ci un test AQ, ou test du Quotient du Spectre Autistique, un petit test créé par Simon Baron-Cohen (oui, le cousin de Sacha), spécialiste de l’autisme, et ses collègues. Ce court test [1] n’a pas du tout pour objet d’établir un diagnostic, il est à considérer comme un indicateur. Tout le monde s’amuse à échanger les scores ; il est indiqué que le score moyen est à 16, et que Quatre-vingts-pourcents de ceux à qui on avait diagnostiqué de l’autisme ou un trouble similaire avaient un score de 32 ou plus.
Le mien est de 37, ce qui est étonnant parce que je suis habituellement tellement sans intérêt que j’ai toujours tendance à être pile au milieu pour tout ce qui est tests de psycho.
Je lis un peu sur le sujet, ça me travaille, mais je suis informaticien, donc je tombe facilement dans la caricature sur ce domaine, et après tout, j’ai peut-être inconsciemment orienté mes réponses par envie de faire un bon score. Je garde quand-même ça dans un coin de la tête, et lorsque que quelques mois plus tard, je me retrouve face à une psychiatre lors du diagnostic de douance, je lui parle de ce questionnement là : Oh non, pas vous !
, écarte-t-elle avant de passer à autre-chose, ce qui -vous en conviendrez- n’est pas vraiment de nature à me laisser aller à l’auto-diagnostic.
Avance rapide jusqu’en début d’année dernière : ma sérendipité m’amène à un test un rien plus poussé que le premier[2]: beaucoup plus long, et avec à la clef un évaluation plus détaillée, en fonction de différent traits, et pour chacun s’ils sont plus présents chez les Aspies (petit nom donné à ceux qui ont le Syndrome d’Asperger) ou chez les neuro-typiques (ceux qui sont en dehors du spectre autistique). Encore une fois, les résultats sont à prendre avec des pincettes : il est très difficile d’être honnête dans ses réponses et de ne pas les orienter quand on a envie de se sentir spécial. Je fais donc ce test en me promettant de prendre le résultat avec des pincettes.
Le forum où j’ai trouvé le lien est plein de gens qui affichent leurs résultats, pour beaucoup en disant aaaah, je comprends maintenant…
, arguant de leur score Aspie de 120, 130 ou 140 sur 200… Le mien est de plus de 180.
En regard de ça, ils donnent aussi leurs score NT (donc une information sur leur côté “normal”, ce qui est un terme à prendre avec de très grosses pincettes), ceux-ci s’étalent souvent entre 60 et 80, toujours sur 200. J’obtiens un joli 30. Le test offre en plus un diagramme qui résume les différents résultats, avec un graphique qui pour la plupart des testés ressemble à une tâche centrale avec des piques à gauche (NT) et surtout, pour ceux qui se reconnaissent, à droite (Aspie). Dire que le mien est légèrement déséquilibré est une litote:
Même en prenant en compte l’éventuel manque d’honnêteté de mes réponses, ça me semble un peu bizarre et je me pose un paquet de questions. J’essaie presque immédiatement d’en parler à des proches, mais justement ce sont des proches, des gens avec qui je suis en confiance et avec lesquels j’ai une excellente communication. Des qui en plus, comme moi, ont tendance a fréquenter assez de gens un peu hors normes pour que l’idée même que je puisse être Aspie leur semble saugrenue. Je la remballe donc avec d’autant plus de facilité que si je ne comprends pas les résultats du test et que certaines spécificités décrites me semblent familières, j’ai quand-même du mal à me reconnaître dans le portrait général.
Et voilà qu’on me fait passer un article parlant de l’Asperger “caché” chez l’adulte. Cette fois-ci, voilà un portrait général qui me correspond : un Aspie adulte ayant mis en place suffisamment de mécanismes d’adaptation pour que l’idée même qu’il puisse être Aspie semble saugrenue aux gens qui le fréquentent. Là, je commence à être sévèrement remué.
Oui, on me fait passer, parce que j’ai quelqu’un avec qui je peux en parler : en règle générale, je suis un gars qui a de la chance, et cette fois, j’ai la chance d’avoir l’interlocutrice idéale, puisque celle qui partage ma vie est Canadienne[3], elle vient donc d’un pays où on a une bien meilleure connaissance, et un vision bien moins caricaturale de ces sujets-là. Nous parlons de celui-ci presque depuis que nous nous connaissons, et ayant eu elle-même un parcours un peu particulier, elle m’a un jour dit que je n’étais pas le premier surdoué qu’elle fréquentait intimement, mais qu’il y avait selon elle chez moi quelque-chose d’autre (dont elle avait une idée assez claire également, elle a déjà rencontré des Aspies dans ses boulots d’encadrement.)
C’est elle qui m’a soutenu, qui m’a poussé et qui m’a tenu la main dans toutes les démarches vers le diagnostic officiel. C’est elle qui m’a accompagné aux rendez-vous avec les différents spécialistes. C’est elle qui a été la référente externe lors des entretiens[4] C’est elle surtout qui m’a encouragé, qui m’a permis d’être vraiment moi-même dans notre relation, et qui a accepté entièrement ce qu’elle voyait.
Je ne sais pas si vous imaginez, mais les troubles du spectre autistique, au quotidien, ça peut être un peu chiant pour qui les subit de manière externe : la routine qui m’est nécessaire et ma difficulté à faire des choix ou prendre des initiatives en a fait fuir plus d’une. Cette fois-ci, c’est différent : j’ai en face de moi quelqu’un qui me comprend, qui accepte entièrement les limitations de la maladie et qui a une conscience aiguë de tous les bons côtés qui peuvent venir également de là.
Il m’est absolument impossible d’imaginer avoir été mieux accompagné durant cette période charnière. La vie m’a fait un extraordinaire cadeau.
I need no blessings but I’m counting mine
(photo: My own little corner of earthly heaven)
Notes
[1] Qu’on peut trouver par exemple à http://www.aspietests.org/aq/index…..
[2] Très précisément celui-ci: http://www.rdos.net/fr/.
[3] From Ontario. Je précise pour tous les ceusses qui comprennent Québec quand on leur dit Canada. Oui, si vous avez suivi, voilà la raison pour laquelle l’anglais est ma langue principale depuis une paire d’années, même si son français est excellent.
[4] On dit hétéro-anamnèse : elle a eu elle-même des entretiens avec les psys pour parler de moi.
Publié le 09/05/14, dans la rubrique Bordel dans ma tête.
(lire d'autres billets sur : Asperger )
Commentaires
1. Par M. LeChieur, le 09/05/2014 à 11:49
2. Par xave, le 09/05/2014 à 11:56
3. Par M. LeChieur, le 09/05/2014 à 14:38
4. Par M. LeChieur, le 09/05/2014 à 14:41
5. Par Sacrip'Anne, le 09/05/2014 à 15:56
6. Par Laurence, le 10/05/2014 à 00:50
7. Par Laurence, le 10/05/2014 à 01:03
8. Par Tomek, le 10/05/2014 à 02:06
9. Par xave, le 10/05/2014 à 16:48
10. Par M. LeChieur, le 11/05/2014 à 15:00
11. Par xave, le 11/05/2014 à 15:41
12. Par Notre Conscience, le 26/05/2014 à 19:05
13. Par Notre Conscience, le 26/05/2014 à 19:07
14. Par MH de L'Appentis Saucier, le 06/06/2014 à 03:10
15. Par Nass, le 07/10/2014 à 20:57