Métaphore

Il fait froid dehors

Aphrodisias, Pamukkale & Heliopolis

photo: nappe de brouillardNous voilà en 2006, et pour le coup, notre réveil est vraiment tardif : 9h, avec les interruptions habituelles dûes au muezzin et aux mouchoirs de Julie. Après notre premier petit déjeuner sans Pinar du séjour, nous sortons pour affronter un brouillard à couper au couteau : on n'y voit pas à dix mètres. Dans ces conditions, le visite que je voulais rendre à l'Artémision, à savoir les restes d'une des Sept Merveilles du Monde, est fortement écourtée : Je n'y jette qu'un vague coup d'œil, sans même sortir de la voiture. C'est idiot, il faudra que je revienne.

photo: cuvette de brouillardIl le faut bien : nous affrontons alors le brouillard pour quitter la ville. Juste après que Julie aie pris une photo afin de pouvoir témoigner de la visibilité que nous avons, il disparaît brutalement ! Nous sommes dans le brouillard complet, et dix mètres plus loin, le soleil brille... En nous retournant (après avoir arrêté la voiture quand même) nous nous apercevons que Selçuk est visiblement dans une cuvette : il y a derrière nous un gros nuage de brume parfaitement circonscrit.

Après avoir pris une photo de la merveille naturelle, nous avons deux heures de route avant d'attendre notre première destination de la journée : Aphrodisias, considéré également comme un des plus beaux sites de Turquie, et surtout bien conservé, puisqu'enseveli sous la boue depuis une série de tremblements de terre il y a une petite quinzaine de siècles. Depuis, on a commencé à retirer la boue (le plus grand monuments sont dégagés et redressés lorsque c'est possible) et les habitations du village qui s'était bâti dessus et qu'on a déplacé il y a une bonne quarantaine d'années pour assurer l'exploitation du site.

photo: Aphrodisias

Arrivé sur place, il n'y a effectivement au milieu des champs que le site (avec - quand même -une caserne juste à côté.) Et on se demande s'il ne serait pas par hasard fermé : le parking est absolument désert et le guichet des vente de tickets est vide lui aussi. Par contre, la grille est ouverte ; Nous avançons en espérant déjà une visite gratuite (parce qu'après tout, nous sommes le premier janvier, c'est un jour spécial,) mais peine perdue : alors que nous arrivons dans la cour, une dame avec un beau rouleau de tickets sort d'un bâtiment et viens nous ponctionner : tant x2 pour l'entrée du site et tant x2 pour le parking.

photo: chat d'AphrodisiasAh ben oui, c'est comme ça partout : l'entrée des sites est payante, certes, mais ça n'empêche pas les parkings attenants de l'être aussi. Étant bien entendu que les parkings ne servent qu'aux visiteurs des sites, évidemment. Je crois que le but est de pouvoir s'enorgueillir de prix ... euh ... bas ? Enfin, s'ils appellent ça bas, parce que tout ça est cher. Mais au moins, quand ils donnent le prix des sites, c'est régulièrement un tiers moins cher que ce que finalement ça coûte, puisqu'il faut toujours ajouter le parking. Et qu'on ne vienne pas me dire que du coup, c'est moins cher pour les bus : Nous avons régulièrement payé le parking au nombre de personnes dans la voiture !

Bref, nous arrivons quand même dans la place. Ici comme ailleurs, nous sommes accueillis par un chat. Celui-ci nous suit un certain temps lors que nous nous dirigeons vers le cirque, le plus gros bâtiment du site. Il nous faut un certain temps pour lui faire comprendre qu'il n'est pas un chien, et donc qu'il n'a pas à nous suivre en remuant la queue. Et quand nous y parvenons enfin, l'un de ses copains prend la relève. Ces chat apprécient le touriste, visiblement...

photo: mézigues au cirque

Le greffier nous lâche quand même avant d'arriver dans le cirque. Mâtin, quel cirque ! J'en ai déjà vu quelques uns, ou en tous cas des restes, ou même, pour être plus précis, des emplacements : J'ai vu le Cirque Maxime, à Rome, et l'hippodrome de Constantinople. Mais le Cirque Maxime n'est plus qu'un long terrain vague vaguement creux, de l'herbe, un peu de boue, c'est tout. Et l'hippodrome de Constantinople n'est plus qu'une longue place allongée à côté de la Mosquée Bleue à Istanbul (même s'il parait qu'il reste quelques gradins sous le niveau du macadam.) Ici, par contre, le bâtiment est pratiquement entier : la couronne de gradins est encore debout, même si les gradins eux-même ont l'air d'avoir un peu bu. Et bien c'est grand. Julie émet l'idée saugrenue de laisser nos sacs aux milieu, de marcher jusqu'à une des extrémités et de revenir en courant : Nous laissons nos sacs au milieu, nous marchons en direction de l'extrémité, nous marchons en direction de l'extrémité, nous marchons en direction de l'extrémité... Une fois arrivés au bout, l'idée de courir n'a plus l'air aussi intéressante, finalement, nous allons revenir à notre rythme.

Après avoir profité de l'énormité du lieu pour faire l'andouille sous le regard attristé de Julie, voilà que débarque un plein arrivage de touristes allemands ! Vertudieu ! D'autres touristes ont donc trouvé le lieu ? Vite, replions nous vers le reste du site.

photo: "piscine" d'AphrodisiasDes allemands nous héritons d'un chien, qui va lui aussi nous suivre un certain temps. Nous révisons alors nos propos : les chats de tout à l'heure ne nous suivaient pas aussi bêtement qu'un chien. Un chien est capable de nous suivre beaucoup plus bêtement : Il court, il s'arrête brutalement, il creuse, il revient, il court après sa queue... C'est drôle, mais Julie, qui n'a jamais eu beaucoup de chiens, se demande ce qu'il fabrique. Après que je lui aie fait part de mes expériences un peu plus nombreuses en la matière, elle fait une subtile synthèse : les chiens sont cons. Franchement, je ne peux pas la contredire.

Le reste du site est relativement étendu, pas trop quand même : il ne s'agit pas vraiment d'une ville, mais des bâtiments et lieux publics. La ville elle même est pour le plus gros encore ensevelie sous deux mètres de terre. Les pierres qui sont encore là (parce que comme beaucoup de sites, ça a quand même servi de carrière à une époque) ne sont pas mal du tout, on imagine assez facilement les places telles qu'elles étaient il y a deux millénaires.

photo: le théâtre d'AphrodisiasIl est dommage que, fouilles obligent sans doute, un des endroits les plus intéressant ne soit pas accessible. Il est dommage surtout que ça ne soit pas très bien indiqué : j'ai réussi à entrer dans le théâtre, mais j'ai failli n'en pas pouvoir sortir... Julie l'avait pressenti qui ne m'a pas suivi et m'attends à l'extérieur. Heureusement pour moi, un des multiples chats du lieu m'indique la sortie.

Avant de repartir, comme nous avons fait pas mal de route et qu'autant nous attend, il serait malin de passer aux toilettes. Oui, mais je vous ai dit, tout à l'heure, qu'en plus de l'entrée des sites, les parkings des sites sont aussi systématiquement payants ? Pour les toilettes, c'est pareil : il ne s'agit pas d'un confort offert aux visiteurs qui ont déjà payé deux fois : c'est un commerce et il faut encore porter la main au porte-monnaie. Alors que Julie s'y dirige, on voit quelqu'un se lever et aller l'attendre au guichet. Celui là, à mon avis, s'il ne parle pas français, il n'a pas bien dû comprendre pourquoi non seulement on ne le payait pas, mais surtout pourquoi il se faisait engueuler ! Il ne faut pas énerver Julie.

Après de nouveau deux heures de route, nous arrivons à Pamukkale, sur le site d'Héliopolis. C'est un spectacle assez fascinant : en haut d'une falaise, des sources d'eau chaude (entre 30 et 50°C) chargées de sels calcaire sortent de la roche. Depuis des siècles, la falaise se transforment en falaise de calcium entièrement blanche. En haut de la falaise s'est construit à l'époque une ville thermale romaine dont il reste de larges pans de ruines.

photo: Pamukkale

Il y a donc deux choses à voir ici : la falaise de calcium et les ruines romaines. En arrivant par l'entrée visiblement la moins pratiquée, nous traversons une partie importante du champ de ruines avant d'arriver par l'arrière sur la falaise. Là, nous voyons des ruines beaucoup plus récente : dans les décennies précédentes, des hôtels étaient venus se construire là et captaient l'eau des sources pour leurs piscine, les détournant de la falaise qui en vingt ou trente ans à peine s'est mise à noircir, à verdir, à jaunir, bref, à perdre sa blancheur éclatante pour tout un tas de couleurs beaucoup moins appétissantes. L'État a fini par mettre un terme à tout ça : destruction des hôtels, libération des sources, canalisation des flux touristiques sans certains endroits bien délimités, avec obligation de retirer ses chaussures pour essayer de retarder le plus longtemps possible la destruction à petit feu de l'écosystème.

photo: une source de PamukkaleBon, tout le monde n'a pas encore bien l'air de comprendre le principe : au milieu des touristes pieds nus respectueux de l'environnement, les vendeurs de cartes postales à la sauvette ont tranquillement gardé leurs baskets... Et la police locale n'a pas l'air suffisamment nombreuse pour leur courir après (et pourtant, ils essaient.) Un peu plus loin, c'est une famille turque qui va apporter sa pierre à la destruction de l'édifice en allant marcher toutes chaussures dehors dans des zones protégées interdites d'accès. Ceux là, même s'ils ont raté certain termes de vocabulaire, ont bien du comprendre pourquoi ils se faisaient engueuler par contre. Il ne faut pas énerver Julie.

En remontant pour retourner au parking en passant par les ruines romaines, nous retombons sur nos deux espagnols d'avant-hier. eux là sont assurément des amoureux des vieilles pierres. Il est vrai qu'ici, il y a de quoi faire : les ruines s'étendent sur des kilomètres... On reconnaît quelques rues, des pas-de-portes encore à moitié debout, quelques pans de mur, mais surtout des ruines, des pierres, presque à perte de vue. Ici pendant des siècles ne sont passés que les bergers, les moutons et les tremblements de terre. Nous regardons le soleil se coucher depuis le seul bâtiment encore majoritairement debout : le théâtre. (l'épaisseur de ces petites choses ainsi que leur propension à s'appuyer sur des sites naturels a souvent assuré leur survie.)

photo: Crépuscule sur Pamukkale

Il ne faut pas trop traîner quand même : Nous avons encore énormément de ruines à traverser et rien n'est éclairé (hors le feu qui fait rage dans une cour d'un des hôtels disparus, mais les silhouettes autour n'ont pas l'air affolé.) Dans la pénombre de plus en plus grande, nous traversons alors des bouts de plaine, des vieilles pierres et de troupeaux de moutons avant de revenir à la voiture.

Et maintenant ? Maintenant, nous avons de la route : Nous avons décidé que ce soir, nous coucherions à Antalya, à quelques trois cents kilomètres de route de là. Il est dix-huit heures mais nous y croyons (nous n'avons pas trop le choix, ceci dit.) photo: le théâtre d'Héliopolis Il faut dire qu'il ne s'agit pas d'autoroutes : on va passer plus de trois heures dans des petites routes de montagne non éclairées, souvent sans les garde-fous qu'on a l'habitude de trouver par chez nous lorsque l'accotement est très dénivelé. Mais ça n'est pas grave, j'adore ça : Je me suis déjà rendu compte par le passé que j'adorais conduire sur des routes inconnues (alors que l'autoroute Lille-Bruxelles, que je connais par cœur, me fera un jour mourir d'ennui (ou d'endormissement au volant,) et que j'adore par dessus tout les petites routes de montagne, ce sont pour moi les plus agréables à rouler. Il est vrai que conduire une voiture qu'on ne connaît, de nuit, dans un pays qu'on ne connaît pas, dans des petites routes de montagnes non éclairées, en se glissant dans le traffic parmi d'autres conducteurs qui ont une culture de la route complètement différente n'est peut-être pas une expérience que tout le monde apprécierait. Mais moi, je m'amuse comme un petit fou (ma peur de l'inconnu ne fonctionne pas avec les routes.)

photo: ciel de PamukkaleEt effectivement, nous finissons par arriver à Antalya. S'ensuit le moment le plus difficile de ma journée de conducteur : trouver le centre-ville, et une fois en centre-ville, se garer. Or, d'une part Antalya est une grosse ville, d'autre part j'ai très vite tendance à m'énerver et à me stresser lorsque que tourne en rond en voiture avec la peur de déranger les gens qui essaient de circuler normalement. La pauvre Julie en a maintes fois fait les frais et affiche maintenant une sérénité à toute épreuve pour m'aider à conserver mon calme.

Ici, ça n'est pas simple, il n'y a comme d'habitude aucun panneau, et les maigres indications en turc nous aident peu. Nous finissons néanmoins par trouver la vieille ville, petit quartier préservé au milieu d'une métropole tirée à angles droits, et cette fois-ci, on réussit à se garer trois minutes à peine après que j'ai commencé à stresser. On peut considérer ça comme une victoire. Le temps de marcher jusqu'à la pension, puis de déplacer la voiture jusque devant celle-ci (vive le mois de janvier qui fait fuir les touristes !) et nous allons nous promener en ville. Pas trop longtemps, ceci dit : on a vite fait le tour de la vieille ville et en janvier, il y a de la place pour se garer, certes, mais c'est un peu mort. Les moments les plus marquants de la soirée étant de refus par le distributeur de donner de l'argent à Julie et la tentative d'arnaque d'un vendeur de Kebab (même pas terrible) à mon égard. Nous rentrons, j'allais dire bien vite, mais non : pour la deuxième fois du séjour, voilà mon sens de l'orientation mis à rude épreuve, et nous nous perdons un peu dans les petites rues pleines de recoins...

photo: Julie à Héliopolis

Grâce à l'intervention d'un turc germanophone, nous finissons quand même par retrouver la pension, ou épuisé (surtout moi, la conduite était quand même fatiguante) nous nous couchons... Julie, pour une fois, ne peste pas contre son nez, mais contre le froid de la pièce et le manque de couvertures.

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