La lenteur, le dictionnaire et les échecs.
En y réfléchissant bien, je crois qu’on peur ramener beaucoup de choses à un problème de lenteur de gestion des entrée et sorties (je cause geek si je veux). La situation qui ne m’est pas familière me panique parce que sans mon petit dictionnaire, je ne suis pas perdu, non, je ne suis simplement pas sûr de savoir réagir assez vite.
Mon petit dictionnaire, c’est une liste de “comment réagir à telle situation”, ou de “quand cette personne en particulier bouge ce muscle de la joue comme ça, ça veut dire qu’il ressent ça”. Quand je me retrouve en face de quelque-chose qui n’est pas dans le dictionnaire que je me suis confectionné, la machine se grippe.
Je le mets en forme dans ma tête en même temps que je le tape, OK ? Donc si ce n’est pas clair, vous n’avez qu’à le dire, on y reviendra. Il se passe quoi, quand je ne trouve rien qui correspond à la situation actuelle dans mon dictionnaire ? Je dois réfléchir. Et j’ai beau être capable de réfléchir relativement vite, la somme de paramètres à prendre en compte, l’analyse des multiples réactions possibles et de ce qui pourrait en découler, l’appel aux banques mémorielles pour voir si par hasard, on n’aurait pas un jour observé une situation qui pourrait présenter suffisamment de similarité pour qu’on en puisse tirer un enseignement, tout ça prend du temps.
Je sais parfaitement que plus la situation m’est étrangère, plus ce temps de réaction est manifeste, comme sur ces vieux ordinateurs où vous commencez à taper et qui attendent une paire de secondes avant de montrer le moindre caractère à l’écran. Pour aller encore plus loin dans le méta, savoir que j’aurai ce temps de réaction augmente ma panique, ce qui aurait tendance à ne pas aider.
En face de toute interaction sociale, je suis un joueur d’échec : pour ce qui est des coups d’ouverture, c’est très codifié, on les a rencontrés souvent, la réaction tient du réflexe. Mais plus on avance dans le jeu, plus on a tendance à devoir analyser non seulement la situation du tour suivant, mais ce qu’elle pourrait être au tour d’après, à celui d’après, à tous ceux d’encore après. Chaque génération de coup dans le futur amène une complexification de l’arbre des possibles. Si vous me mettez dans une situation sociale inconfortable, c’est cet arbre des possibles qui me ralentit.
C’est un exemple assez courant, mais supposez que votre boulangerie favorite soit fermée de manière imprévue, que faites-vous ? Vous allez dans une autre boulangerie acheter votre baguette ? C’est pareil pour moi, remarquez : je passe en revue les différentes boulangerie alentours, les supermarchés aussi, on ne sait jamais. J’établis un classement pour décider où je vais finalement aller, mais ce classement va être difficile, si je ne les connais pas, puisque je n’ai pas d’information pour faire un choix éclairé. Mettons que je fasse ça en fonction de la distance et de la gamme de prix qu’indiquera le luxe plus ou moins apparent de la vitrine, OK, ça sera celle-là. Je me dirige vers la boulangerie choisie en essayant de piocher dans mes souvenirs de quand je suis passé devant pour me faire une image mentale du magasin. Je vais imaginer où est la caisse, essayer d’imaginer le temps que j’aurai pour analyser l’offre et faire mon choix. C’est très difficile, parce que je ne maitrise pas la longueur qu’aura la file d’attente. Je vais demander une baguette, c’est une boulangerie, ils doivent avoir des baguettes. Ils vont me demander de quel type. Merde, je ne sais pas quels types de baguettes ils vendent, je ne saurai pas répondre du tac-au-tac. Bon, imaginons qu’ils aient les basiques : la baguette à la con, la baguette campagnarde, la baguette au levain. Disons qu’à toutes choses égales, je vais prendre la campagnarde. À toutes choses égales, parce que peut-être qu’elles ne sont pas toutes aussi cuites, dans ce cas-là, je prendrai la baguette la mieux cuite, sauf si c’est la classique baguette blanche. Très bien, ils vont me dire “bonjour”, ou “bonjour, qu’est-ce que je vous sert ?”, ça c’est bon, je sais quoi répondre. J’espère qu’ils ne vont pas commencer à me parler de la météo, mais on ne sait jamais, ça s’est déjà vu. Qu’est-ce que je peux préparer comme réponse ? Ah mais au fait, et s’ils n’ont plus de baguette ?
Notez que je n’ai toujours pas mis un pied dans la boulangerie.
Voilà ce que m’amène l’inconnu et l’imprévu. Et encore, acheter du pain, c’est encore quelque-chose qui est assez codifié. Une soirée avec des inconnus, ça, c’est difficile. D’autant qu’on dirait que pour beaucoup, on ne peut pas s’amuser sans mettre la musique très fort, voire danser dessus. La musique très fort m’agresse comme la plupart des sur-stimulations sensorielles. Il parait que les NT ont un circuit qui leur permet d’isoler la voix de leur interlocuteur au milieu du brouhaha, ça expliquerait bien des choses. Quand vous me parlez dans une soirée, j’entends votre voix, aussi la conversation des gars à côté, et puis la musique, et puis le gars un peu excité qui crie sur le balcon, et les coups de feu de ceux qui jouent à la console dans la pièce à côté. J’entends votre voix, mais je ne l’isole pas, ça demande un énorme effort mental pour me concentrer sur ce que vous dites. Quant à danser … On en reparlera quand je parlerai de la maladresse ou de comment, en permanence, je me demande ce que vont penser de moi les gens alentour.
(photo : Gardien de Death Valley)
Publié le 15/07/14, dans la rubrique Bordel dans ma tête.
(lire d'autres billets sur : Asperger )
Commentaires
1. Par M. LeChieur, le 15/07/2014 à 18:44
2. Par xave, le 15/07/2014 à 19:32
3. Par ophélie, le 16/07/2014 à 03:23
4. Par xave, le 16/07/2014 à 08:56
5. Par Rayan, le 20/07/2014 à 21:40
6. Par mirovinben, le 21/07/2014 à 08:06
7. Par xave, le 22/07/2014 à 16:50
8. Par ophélie, le 22/07/2014 à 18:43
9. Par M. LeChieur, le 24/07/2014 à 09:39
10. Par xave, le 24/07/2014 à 10:06