Coming-out
Je m’appelle Xavier et je suis autiste.
Ça paraît étonnant, comme ça, quand on me connaît. D’ailleurs, plus on me connaît, plus ça paraît étonnant. À vrai dire, je ne vous en voudrais pas d’avoir du mal à le croire : vous ne seriez pas les premiers, même parmi les bien informés ; pour vous dire, j’ai eu moi-même du mal à l’admettre. Aujourd’hui, ça va. J’ai un mot du docteur. Des docteurs. D’un certain nombre de docteurs.
L’autisme, c’est un spectre assez large qui regroupe pas mal de réalités, et je n’ai pas vraiment le type Rain-Man. Laissez-moi donc vous faire rapidement les présentations : je suis autiste, type Asperger, hautement fonctionnel, doublement exceptionnel, et vous admettrez que tout ça en jette un peu.
Ce n’est pas très grave : c’est Asperger, la maladie auto-diagnostiquée de la moitié des internautes. Le syndrome d’Asperger, voyez-vous, a deux caractéristiques de base : il rend un peu asocial, et un certain nombre de génies sont soupçonnés de l’avoir eu. Ça en fait une maladie magique : vous passez votre temps sur Internet au lieu d’aller parler aux vrais gens, lesquels du coup vous soupçonnent d’être un loser sans amis ? Quelle erreur : en réalité, on vous doit des égards parce que vous êtes handicapé et vous êtes comparable à Tesla et Einstein, vous avez parfaitement le droit de traîner en slip toute la journée et les gens devraient s’excuser de n’avoir pas tenu compte de votre problème[1].
Je vais vous avouer un truc : en réalité, c’est un peu plus compliqué que ça.L’autisme, c’est un trouble neurologique. On nait avec, on meurt avec, on essaie de vivre le mieux possible entre les deux. Pour ceux qui se posent la question sur le rapport entre autisme et syndrome d’Asperger, il s’agit de deux manifestations du même genre de trouble, ou pas. Pendant très longtemps, Asperger a été considéré comme une maladie à part, partageant certaines caractéristiques de l’autisme, mais n’étant qu’une gène à la communication, là où l’autisme pouvait constituer un réel obstacle. La tendance est aujourd’hui à penser qu’il y a de l’un à l’autre une multitude de degrés et que décider de mettre une frontière sur l’un quelconque de ces degrés était un peu idiot. Je caricature pas mal et beaucoup de gens ne sont pas d’accord, mais c’est l’idée de base : ce qu’on appelait syndrome d’Asperger jusque là est une maladie placée sur le spectre de l’autisme, mais qui évite ces deux écueils un peu désagréables : l’obstacle à la communication et le retard mental (mesurable, parce qu’il est possible que ça soit surtout un effet secondaire de la difficulté à communiquer).
Je me méfie énormément des auto-diagnostics, je ne me reconnais aucune autorité dans le domaine et ce n’est pas à moi de juger. C’est pour ça que je me suis tourné vers un organisme spécialisé dans l’autisme pour aller leur demander ce qu’ils en pensaient. Je n’ai à aucun moment fait mystère de la possibilité que je leur faisais perdre leur temps ; simplement, après avoir beaucoup étudié le sujet et au vu des résultats d’un certain nombre de tests d’évaluation, j’estimais que la question, à défaut d’avoir une réponse évidente, était légitime.
J’ai reçu mon diagnostic il y a quelques semaines. Vous voyez le patinage artistique : vous avez plusieurs juges qui vous observent, qui vous mettent une note, et à la fin on additionne. Bon, ben pour moi, c’était pareil : ces derniers mois, j’ai vu des psychiatres, des psychologues, des psychomotriciens et des logopèdes (ça ne commence pas par psy, et en France, on dit plutôt orthophonistes), à la fin ils ont tous fait un résumé de ce qu’ils pensaient pour mon dossier et on a fait la moyenne.
La peur de leur faire perdre leur temps n’a fait qu’augmenter au cours du processus. Le matin où je me suis présenté pour le dernier entretien et la discussion des résultats, je m’attendais au mieux à un “moui, il y a certains trucs qui peuvent éventuellement évoquer l’idée, vous êtes à la limite…” En un sens, je n’avais pas totalement tort, puisque la psychiatre m’a effectivement annoncé que j’étais à la limite : une fois les additions faites, j’étais finalement aussi proche de la valeur pivot qui m’aurait vu déclaré autiste à temps plein que de celle qui me diagnostiquait le syndrome d’Asperger[2].
Choc[3].
Et bonne année.
(photo: Chain of Rocks)
Notes
[1] Accessoirement, l’auto-diagnostic est d’autant plus facile si (roulement de tambours) vous vous êtes senti différent et pas à votre place dans ce monde pendant votre adolescence.
[2] Attention, derrière cette valeur pivot, il y aurait encore un monde, mon cas ne présente guère de gravité.
[3] Ce n’est pas une conclusion brutale, c’est un cliffhanger : le sujet me travaille beaucoup (étonnamment) et je compte y revenir très vite.
Publié le 30/04/14, dans la rubrique Bordel dans ma tête.
Commentaires
1. Par Sacrip'Anne, le 02/05/2014 à 09:04
2. Par Xavier, le 02/05/2014 à 11:57
3. Par xave, le 02/05/2014 à 13:30
4. Par Gru, le 02/05/2014 à 14:43
5. Par Evelyne, le 07/05/2014 à 15:38
6. Par Evelyne, le 07/05/2014 à 15:52