Métaphore

Il fait froid dehors

Let the Sunshine In / White Christmas

Après avoir rechargé mes batteries et surtout celles de mes gadgets, je reprends le métro direction Times Square ; hier, c’était club de blues, aujourd’hui musical à Broadway. Et pas n’importe quelle comédie musicale : Hair.

Let the Sunshine In

Dès que l’idée de venir à New York s’est précisée, j’ai su que je viendrai voir un spectacle à Broadway, il n’était plus que de décider lequel ; plusieurs m’ont fait de l’œil, mais la sélection est vite descendue à deux ou trois puis un seul. J’ai choisi celui là entre autres pour une raison pragmatique : contrairement à d’autres, ils ont la bonne idée de proposer des places à des prix assez bas.

Mais j’ai aussi choisi celui là pour des raisons de cœur : c’est Hair, putain ! J’ai découvert ça au sortir de l’adolescence, à l’époque où je glissais du punk vers le hippie, à l’époque où je me désespérais d’être né vingt ans trop tard. Bien sûr, j’ai découvert ça grâce au film de Milos Forman, qui triture un peu l’histoire et les chansons, mais je m’en fous, je suis un vieil incorrigible, j’adore cette musique, j’adore les cheveux longs, j’adore la paix et l’amour (et j’emmerde les caricatures ! :p)

Visiblement, on dépasse un peu les caricatures, remarquez, en fumant ma dernière clope, je m’étonne de voir entrer des gens rentrer d’une moyenne d’âge assez élevée (ce qui pourrait se comprendre) mais surtout un certain nombre de rupins en manteaux de fourrure et assimilés. Ah quand même, on va voir des hippies, certes, mais n’oublions pas que c’est la sortie du samedi soir sur Broadway, c’est classieux.

Bon, je m’en fous. Là, aujourd’hui, il a neigé; je me suis rendu compte hier que voir un concert tout seul, contrairement à mes craintes, je pouvais vraiment aimer ça. C’est d’un pas tout guilleret que je me mêle à ce public pour ajouter mon bipbip au concert des billets validés à l’entrée.

Et là, au lieu de faire un gentil bipbip vert sur mon billet, le lecteur de code barre fait un gros REUUUUH rouge. Gné ? m’interroge-je. Désolé monsieur, c’est un billet pour hier, ça… Pardon ? Non mais c’est pas possible, je n’ai pas pu réserver pour hier, j’avais un concert hier ! Un gros balèze vient voir ce qui se passe, me prend mon billet et m’intime l’ordre de ne pas bouger en attendant son retour.

Alors je ne bouge pas, j’attends, et je me sens tout creux d’un seul coup, je m’étais fait une telle joie de venir voir ce spectacle que comprendre d’un seul coup que je l’ai dans l’os et que je n’ai plus qu’à rentrer la queue entre les jambes me laisse brutalement vidé ; j’ai toujours eu du mal avec les promesses de bons moments non tenues.

Je suis surclassé à Broadway !
Saturday, 19 December, 2009 19:59

D’un seul coup, voilà mon balèze qui revient ; il me tend un nouveau ticket en me disant c’est bon, c’est par là. Je ne comprends pas bien et je ne cherche pas à comprendre : je vais voir le spectacle. Tout de même, là où il m’a envoyé, je ne vois pas bien par où je suis censé passer pour monter aux balcons, je demande ma route à un ouvreur qui m’indique d’aller vers la scène. Bon, visiblement, mon émotion n’a pas amélioré mon niveau d’anglais. Je fais quelques pas encore et je demande à un autre ouvreur de m’aider, celui-là m’indique directement ma place : au parterre, en plein milieu, au quatrième rang. Uh ?

Je suis regonflé à la mesure du vide que je ressentais il y a trois minutes, à cause d’une erreur dans ma réservation à 37 dollars, je me retrouve juste devant la scène, idéalement placé, là où les places sont normalement à 150 dollars. Je n’arrive pas à arrêter mon sourire et j’ai les yeux qui pétillent, je vais voir Hair !

Rentre, Billy, il neige...

Je ne saurais plus dire exactement comment ça a commencé, il n’y a pas vraiment de coupure nette, comme la salle qui s’éteint et le rideau qui s’ouvre, non. Les conversations dans la salle s’éteignent au fur et à mesure que les gens se rendent compte que les comédiens sont parmi eux et ont commencé. Et on comprends tout de suite qu’il ne sera pas ici question d’une séparation nette entre la scène et la salle, ni entre les comédiens et les spectateurs[1].

Bientôt la musique commence, et mon sourire s’élargit encore ; Krystal Joy Brown entame Aquarius, et j’ai des frissons partout ; le chœur entre au premier refrain, et désolé pour la sensiblerie, mais j’éclate en larmes. Je ne pleure pas parce que c’est beau ou que plus simplement ça me parle ; je pleure parce que ça me parle et que je suis bien, parce que ça fait des années que je ne me suis pas senti aussi bien. Il n’y a pas un seul autre endroit au monde où je voudrais être en ce moment précis. Je pleure du bonheur d’être là, maintenant ; de celui ressenti les jours précédents, et du poids énorme qui a quitté mes épaules depuis mon départ.

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Et puis bon, le spectacle est juste top. Je regrette tellement peu d’être venu que je pense que je n’aurais pas regretté d’avoir payé cette place à son vrai prix. C’est joyeux, c’est vivant, c’est pêchu, c’est impertinent, c’est bourré d’énergie, on sent une vraie complicité entre les membres de la tribu[2], un vrai plaisir d’être là, une vraie joie dans le rapport au public. La musique est parfaitement maîtrisée et ils ont eut l’excellente idée de rester très proches des versions du film, celles que les gens ont le plus facilement dans l’oreille, et beaucoup plus funk que les versions d’époque, avec une bonne grosse basse (même s’ils ont eu aussi la bonne idée de ne pas reproduire l’omniprésence du slap dans les parties de basse.)

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Mon seul petit regret, la seule chose qui m’ait un peu empêché de profiter du spectacle dans sa globalité, c’était la présence sur scène d’une demoiselle nommée Chasten Harmon, qui semblait née pour prouver au monde (ou en tous cas juste à moi) que la femme idéale portait une afro, un jean, et un sourire à se damner[3]. Je me suis retrouvé plus d’une fois à rater ce qui se passait côté cour parce qu’elle était côté jardin. C’est particulièrement vrai du moment où toute la troupe se retrouve nue sur scène[4].

the ring

J’ai apprécié d’un bout à l’autre la façon dont ils instillent savamment un second degré absolument indispensable aujourd’hui, où on ne peut plus être déguisé en hippies et chanter Peace & Love comme si les quarante dernières années n’étaient jamais passées par là. Mais en faisant ça avec une telle honnêteté et une telle candeur que, très vite, on oublie ce décalage et plutôt que de faire un grand saut de quarante ans en avant (qui a rendu ridicule un bon nombre d’adaptations récentes) c’est le public qu’ils amènent à reculer vers les années 60 et l’insouciance qui va avec. Bref, quand la pièce commence, on se retrouve face à des acteurs déguisés en hippies. Une fois qu’elle est bien entamée, quand il chantent Peace now! Freedow now!, tout le public chante avec eux.

Le spectacle va se terminer comme il avait commencé : lorsqu’ils entament The Flesh Failures, j’ai de nouveau tous les poils du corps qui se hérissent ; quand arrive le refrain, le fameux Let The Sunshine In, je me remets à pleurer du bonheur d’être là… Et comme au début (et régulièrement tout au long de la soirée) le moment est à l’interaction avec le public, qui s’est levé comme un seul homme et qu’ils invitent en masse à monter sur scène pour chanter et danser avec eux. Au moment où je tape ces notes, plus d’un mois après, la vidéo ci-dessous me rend encore tout chose :

Bataille de boules de neige géante à Times Square !
Saturday, 19 December, 2009 23:02

Le père Duffy se les pèle

Quand je suis rentré dans le théâtre, il avait neigé une bonne partie de l’après-midi, et les trottoirs étaient un peu blancs. Je n’étais pourtant pas préparé à ce que j’allais trouver en sortant : il y a de la neige partout, en grosse quantité, une grosse épaisseur sur la rue et des congères sur les trottoirs. Non seulement j’adore la neige, mais en plus j’attendais tellement ça que ça me met encore plus la banane. Pas qu’à moi, d’ailleurs : encore tout euphoriques après le final de la comédie musicale, les spectateurs s’égayant dans la rue rient, se prennent en photo et commencent à se lancer des boules de neige. J’en rêvais : c’est l’hiver, c’est Noël, j’ai huit ans !

Et la neige continue à tomber drue, les voitures, les taxis, les bus avancent comme ils peuvent à travers le rideau blanc. Moi, je remonte en riant et en blanchissant vers Times Square, où c’est n’importe-quoi : par terre, c’est blanc, dans l’air, le blanc tourbillonne, les gens sont blancs, les voitures sont blanches, et à travers le prime déformant de la tourmente blanche, Times Square, comme à son habitude, brille de mille couleurs. Je m’en voudrais de tomber dans le cliché, mais franchement, c’est magique.

Snowfight!

Au pied du Père Duffy, j’aperçois un grand rassemblement bruyant, dont je m’approche par curiosité : les gens forment un grand cercle, visiblement en deux fronts ; One, two, three, four ! Les deux camps se précipitent l’un vers l’autre et … se lancent des boules de neige ! Je suis sur Times Square, c’est bientôt Noël, il y a des lumières dans tous les coins et des centaines de personnes de tous âges sont en train de se balancer des boules de neige comme des gamins. Les flics ont les mains dans les poches et se marrent, à l’écart, les employés municipaux commencent à déneiger les axes et il y a des trains de chasse-neiges qui tentent de dégager la rue, mais ici, les gens font une bataille de boules de neige. Ou des bonshommes. Ou font l’ange. Nous sommes à Times Square et les gens se roulent par terre en riant. Comment voulez-vous que je ne rie pas aussi ?

Ange

J’essaie de prendre des photos, mais la neige continue à tomber. Quand je voudrai les regarder, je m’apercevrai que la plupart auront disparu sous l’épaisse couche de buée qui s’est formée sur et dans mon objectif. Je m’en fous, j’ai huit ans.

Je vais rentrer, ce soir, beaucoup plus tard que d’habitude. Mes mains sont bleues, mes oreilles vont tomber, je suis trempé jusqu’au os et je trimballe une épaisse couche de neige.

Mais je m’en fous, j’ai huit ans.

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Note : ces photos (et deux ou trois autres) sont disponibles en album (et sur Flickr.)

Notes

[1] D’ailleurs, le quatrième rang, c’est très bien, je ne sais pas si j’aurais aimé être à la place des gens qui sont juste devant la scène, comme ce chauve a qui on demande s’il a entendu le titre du spectacle, mais surtout celui sur les accoudoirs duquel l’acteur principal est monté, histoire de lui caresser le visage avec son pagne.

[2] Pas pour faire semblant : la troupe se déplace en groupe et ils participent tous ensemble à un certain nombre de manifestations. Cherchez donc “Hair Cast” sur Youtube.

[3] D’un autre côté, après avoir longtemps fouillé le Net, vu son implication dans des assos pour les droits des gays, je ne suis sans doute pas son type de fille.

[4] Ah, voilà pourquoi ils sont aussi stricts sur les appareils photo. C’est frustrant (et ça explique aussi pourquoi je n’ai pas d’autre image à vous proposer qu’une photo prise lors du final.)

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Commentaires

1. Par isa, le 01/02/2010 à 00:48

Belle note, belles photos... tu vas vraiment me faire regretter de ne pas avoir assez traîné à Times Square !!

2. Par Aquarius, le 01/02/2010 à 23:47

Hello,

Je suis une grande fan de HAIR, entre les representations a Central Park en 2008 et Broadway, je l'ai vu presque 30 fois! Je n'ai jamais vu Kristal Joy Brown dans le role de Dionne, ca devait etre super.
Concernant Chasten Harmon, je ne me formaliserais pas sur ses préférences: toute la tribu milite a fond pour les droits des homosexuels, bien qu'une partie soit hétérosexuelle ;) C'est l'esprit de corps!
PS: Bravo pour le surclassement, bien joué!!

3. Par mirovinben, le 02/02/2010 à 08:58

La première photo qui illustre ce billet m'intrigue... Techniquement parlant. HDR ?

4. Par xave, le 02/02/2010 à 15:18

Isa> Ben c'est surtout qu'il fallait y être ce soir là, j'ai vraiment eu du bol.

Aquarius> 30 fois ? Mais je te déteeeeeeeeeeste ! (Et pour les préférences de la belle, j'avoue avoir fait un raccourci, j'ai bien remarqué l'engagement de toute la troupe. Mais bon, comme de toutes façons, à mon grand dam, je ne l'épouserai jamais ...)

Mirovinben> Nan, Edge Enhancement appliqué à la truelle pour essayer de rendre vaguement regardable une photo prise dans des conditions pourries.

5. Par moizelle jane, le 06/02/2010 à 21:26

j'ai suivi ton lien, touchant, sur les promesses non tenues, et ça m'a fait tilt !
ton histoire m'a rappelé la mesaventure qui m'est arrivé pas plus tard qu'hier. autant dire que je bouillonne encore ! donc hier, je portais mes plus jolies bottes, à talons, fines, parfaitement galbées sur le mollets, l'allégorie même de la féminité (bref, elles me vont assez bien...), quand, dans une rue mal éclairée, je me suis pris les pieds dans une borne en béton qui a laissé une méchante balafre sur le dessus du pied droit. sur le coup, j'ai bien pensé que ça allait m'oripiler. Mais les heures passants, la colère n'a fait que s'amplifier de façon complétement absurde. et je réalise peu à peu que je me sens surtout vexée, comme si cet incidence avait démontré mon incapacité à assumer les atours de la féminité. et devant la disproportion (et l'incohérence !) de ma réaction, je me dit que cela révèle probablement un truc d'enfance mal digéré. bref, il faudrait peut-être que j'aille en parler à une Dames aux Questions (après être passé chez un bon cordonnier !).
sur ce, j'arrête de te pourrir tes commentaires. merci en tout cas d'aborder ces questions si librement, je me sens moins cinglée !
au fait, je t'envie aussi la bataille de boule de neige sur Times Square. magique !

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Rétroliens

1. Le lundi 15 février 2010, 21:03 par Métaphore, il fait froid dehors

Electric Blues

Aaaaah, mais voilà pourquoi la version actuelle de Hair à Broadway ressemble musicalement à celle de Milos Forman : c’est la même section rythmique : Wilbur Bascomb à la basse et Bernard Purdie à la batterie......