Métaphore

Il fait froid dehors

Mon père est une mafia

Les voies d'Internet sont impénétrables : j'ai eu l'occasion il y a quelques mois de rentrer en contact avec une jeune fille originaire du même endroit que moi, et nous avons discuté la possibilité de covoiturer lorsque nous rentrions chez maman le week-end. Aussitôt dit, aussi tôt fait : le week-end suivant, c'était la Braderie à Lille, une bonne occasion d'aller retrouver ses racines, nous avons donc pris la route de concert. Le timing était un peu serré parce que j'avais ce jour-là rendez-vous avec mon dentiste. Nous en discutons un peu, elle me demande de qui il s'agit, je lui explique, elle me dit Oh, c'est marrant, le monde est petit, je suis déjà allé chez lui !

Oui, le monde est petit. Mais je suis au courant depuis des années, parce que je suis poursuivi, je suis poursuivi depuis tout petit, depuis au moins le collège, où, quand je suis arrivé, la moitié de mes profs étaient des copains de mon père[1]. Pendant très longtemps, j'ai fait chaque année en dehors de ma scolarité une activité culturelle et une activité sportive. Mon père étant sportif, j'ai eu la veine incroyable de ne tomber pratiquement que sur des entraîneurs qui étaient potes avec lui (et vite déçus, le sport, je déteste, et il me le rend bien.)

Quand je suis arrivé au lycée, mes profs de sport étaient des copains de mon père, comme d'habitude[2]. Coup de chance, j'ai tellement foiré ma scolarité qu'après deux échecs au bac, pour passer celui-ci en candidat libre, j'ai envoyé bouler le bahut. Oui mais quand on n'a pas de contrôle continu, il faut bien s'entraîner quand même de temps en temps. Heureusement, il y a des structures idoines, là où j'étais, c'était organisé par un copain de mon père. D'autres copains de mon père, à la fin de l'année, surveillaient les épreuves.

Alors je suis parti terminer de rater mes études loin de là, ça m'a fait des vacances, et puis de toutes façons, le sport, c'était fini pour moi. Une fois sur le marché du travail, il m'a fallu trouver du boulot. Ah, tiens, il y a une école d'ingénieurs qui cherche un technicien informatique... J'ai été pris. comme me le disait le directeur : Vous n'avez pas les diplômes demandés, mais votre père est un de nos meilleurs professeurs alors nous vous faisons confiance.

Bon, à la fin de mon contrat, je me suis quand même un peu éloigné, je me suis inscrit dans une boite d'intérim. Après avoir passé quelques entretiens sans lendemain, j'ai été reçu par une PME où le contact est plutôt bien passé avec le directeur technique, surtout après qu'il a appris que j'avais presté plusieurs mois dans l'école dont il était issu, surtout quand il a compris que j'étais le fils de mon père.

C'est dans cette même boite, d'ailleurs, que j'ai appris très vite que régulièrement, le DG faisait du tennis pendant ses loisirs. Avec mon père comme partenaire, bien entendu.

Ça devenait trop. Ce n'est pas sans soulagement que je suis parti à l'étranger, là au moins, ça ne m'est jamais arrivé. Pour la première fois de ma vie, j'ai passé des années sans être le fils de, et croyez-moi, c'est reposant.

Il y a quand même eu une piqûre de rappel quelques années plus tard, chez mon dentiste justement, et pour appuyer l'idée que le monde est petit, je le raconte à ma passagère : un jour où cet homme de l'art cherchait mon dossier, il parcourait ses fichiers par nom de famille, et le premier sur lequel il tombe portait un prénom différent du mien : Yves, non, c'est pas toi... Je m'en amuse : Tiens, tu soignes mon père, toi ?[3]

Et ma passagère alors de s'exclamer : Quoi ?!? tu es le fils d'Yves ?

Merde, il m'a rattrapé à Bruxelles, ce con.

Notes

[1] Ah ! C'est le fils de disaient-ils avec un grand sourire en me voyant arriver. Ma sœur m'en a beaucoup voulu d'avoir toujours fait en sorte que lorsqu'elle débarquait au même endroit deux ans après moi, ça se soit transformé en Mouais, c'est la sœur à. dit avec une grimace.

[2] J'ai évité ça une fois au long de ma scolarité : un jeune prof frais émoulu de l'école, copain de mon cousin. Si.

[3] Oui, je tutoie mon dentiste, il est famille proche avec mon ex (mais gentil. La rupture étant arrivée entre deux rendez-vous pour soigner un problème un peu plus costaud que d'habitude, il m'a dit Bon, écoute, tant pis, je te soigne quand même.

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Commentaires

1. Par LeChieur, le 04/02/2009 à 09:02

Excellente, la chute de l'histoire. :-)

Mais de quoi tu te plains ? Non seulement j'ai eu à peu près les mêmes déboires que toi ("Oh, vous êtes le fils de monsieur Machin..."), mais en plus on me confond systématiquement avec mon frère ("Ah, c'est vous le fils de monsieur Machin qui enseignez à la fac ?"... Je te dis pas l'air déçu de mes interlocuteurs quand j'explique que non). Et les gens sont tellement cons que ça ne s'arrête jamais : récemment, j'ai écrit un bouquin, été dans tous les médias de ma petite région, on a vu ma tronche et mon prénom à toutes les sauces. Hébin maintenant, les gens arrêtent mon frère dans la rue : "je suis en train de lire votre livre, c'est super !" Je vais me lancer dans une carrière d'homme invisible, je pense qu'il y a du fric à faire...

2. Par Emma, le 04/02/2009 à 09:59

L'exil plutôt que le parricide ? Mince alors, moi qui attendais le moment où tu allais le provoquer en duel, ça manque de panache ! Alors !!

Non bon, ça n'a pas dû être marrant tous les jours mais j'avoue que j'ai bien ri. Moi c'est surtout le titre coup de poing qui me plaît.

3. Par gilda, le 05/02/2009 à 16:47

Ça me rappelle le syndrome du frère polytechnicien dont je connais quelqu'un de passablement atteint (quelque chose comme :
- J'ai toujours été jaloux de mon frère, il a été depuis le début le préféré de mes parents. Il faut dire il est si brillant. D'ailleurs il a fait polytechnique.
- (ton admiratif) Ah bon, polytechnique ?
- Ah non, mais vous n'allez pas vous y mettre vous aussi !).

A te lire je prends conscience que j'ai dû pendant ses 20 premières années faire toutes proportions gardées le même coup à ma soeur que ton père à toi, la précédant de façon un peu trop voyante dans les mêmes écoles et conservatoire et club sportif. Dans le fond pas étonnant qu'elle se soit réfugiée dans sa belle-famille (comme nous n'avons pas de ressemblance physique le fait de changer de région et de nom lui assure toute tranquillité).

Finalement c'est peut-être pas mal d'être enfant de personnes qui n'ont rien de particulier et fort peu d'entregent. Disons que ça n'est pas sans avantage au fond.

En attendant j'ai bien ri en te lisant car le coup du dentiste puis de la passagère, c'est beau. Et ton titre aussi.

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